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6 février | 11h47

Tom Cadoche : "On ne devrait pas avoir une telle pression si jeune"

Surclassé dans les centres de formation du Havre et de l'OL, Tom Cadoche a été courtisé par les plus grands clubs tout au long de son adolescence. Âgé aujourd'hui de 18 ans, le milieu de terrain revient pour Actufoot sur son parcours assez singulier. Entretien. (Crédit : USL Dunkerque)

U19 NATIONAUX USL Dunkerque U19 Nat Tom Cadoche

Tom, tu es âgé de 18 ans et tu évolues avec les U19 Nationaux de Dunkerque, comment se déroule ta saison ?

En réalité depuis le début de saison, je m'entraîne avec le groupe professionnel et le week-end, je redescends en U19 National pour avoir du temps de jeu. Cela se passe plutôt bien, collectivement, nous ne sommes pas parmi les favoris du championnat, mais nous sommes bien classés et bientôt maintenus. Sur le plan personnel, je suis heureux, car j'ai eu des périodes où je ne jouais plus et maintenant, j'enchaîne les matches, dans un bon championnat qui est celui des U19 Nationaux. Je ne peux rien demander de mieux que de jouer tous les week-ends, c'est ce que tout footballeur peu importe le niveau veut.

L'USL Dunkerque est dans le groupe A du championnat U19 National. Il y a de belles écuries comme celles du PSG, du Havre de Lille, de Lens ou encore de Montfermeil. Penses-tu que parmi les quatre groupes, il s'agit du plus relevé ?

Le PSG, Caen, Valenciennes entre autres, sont des clubs qui forment des joueurs et ont de superbes équipes de jeunes. Donc oui, c'est une poule qui est relevée, le niveau y est vraiment élevé. C'est ce qui est intéressant dans ce championnat, jouer des gros matches avec une équipe qui n'est pas favorite. Cela nous amène donc parfois à nous battre pour pouvoir accrocher des résultats, chose que l'on arrive à faire, donc nous sommes plutôt bien classés.

Depuis tes débuts, tu as évolué en défense centrale, au milieu devant la défense, et même en tant que relayeur un peu plus haut. Actuellement, quel poste occupes-tu et où te sens-tu le plus à l’aise ?

Quand je suis arrivé à Lyon, c'était bien en tant que défenseur central, mais on m'a rapidement fait monter au milieu de terrain pour progresser, évoluer techniquement et dans la prise d'information. Ce poste de numéro six devant la défense, je l'ai rapidement affectionné. Plus tard, je me suis également retrouvé à jouer en tant que relayeur, et même numéro dix. Mais c'est clairement devant la défense que je me sens le mieux, parce que c'est de là où l'on peut orienter le jeu, casser des lignes par le dépassement de fonction, trouver des passes et récupérer des ballons. Aujourd'hui, je ne joue plus du tout défenseur central.

Avant Dunkerque tu as quand même connu pas mal d’expériences pour un joueur de 18 ans, tu es d’ailleurs formé à l’OL, l’un des meilleurs centres de formation français, quels souvenirs en gardes-tu ?

Un super souvenir. Quand j'étais petit, avant Lyon, j'étais à Saint-Priest, j'ai eu beaucoup de clubs qui étaient intéressés par ma signature, mais quand j'ai entendu Lyon, j'ai foncé sans hésiter. Pourtant, il y avait de très gros clubs, quasiment tous dans l'élite française, mais pour l'OL, je n'ai vraiment pas hésité une seconde car c'est un énorme centre de formation avec des infrastructures hors normes. On t'y apprend le football, signer dans un tel endroit, c'est le rêve pour un gamin de dix ans. C'est un club que j'aime toujours aujourd'hui, je suis les matches à la télé, c'est un club qui est ancré en moi. Tout s'est toujours bien passé là-bas, j'y ai toujours été très épanoui. J'en garde un superbe souvenir.

En tant que membre de la génération 2004, as-tu des noms de joueurs avec qui tu as évolué en jeune à l'OL à nous donner ?

Évidemment, il y en a pleins, d'autant que j'ai toujours été surclassé avec la génération 2003. J'ai joué avec Malo Gusto, avec Rayan Cherki, avec Mohamed El Arouch qui est l'un de mes meilleurs amis. J'ai évolué avec beaucoup de joueurs, j'en oublie certainement. Mais voilà, ce sont des joueurs qui évoluent désormais en Ligue 1 voire ailleurs, par exemple Malo Gusto qui va rejoindre Chelsea cet été.

A Lyon tu es surclassé, mais en 2018 tu quittes l’OL pour rejoindre Le Havre qui est également reconnu comme l’un des meilleurs centres de formation français, pourquoi ?

Quand j'ai rejoint Lyon, j'ai signé un contrat de longue durée censé courir jusqu'à mes 18-19 ans. Tout se passait très bien, je ne pouvais pas rêver mieux. Mais dans ces moments où tu joues, tu es toujours surclassé et que tu progresses, on commence à pas mal parler de toi. Bien que tu sois jeune, on commence même à parler de toi à l'étranger, et beaucoup de monde commence à graviter autour de toi. À mes débuts, j'étais seulement accompagné par mon père qui avait aussi son travail, qui n'est pas quelqu'un qui connaît le monde du football. On a finalement réussi à me convaincre qu'il me fallait un agent. Pour être plus clair, chaque agent qui gravitait autour de moi voulait me convaincre qu'il devait être le mien.

J'étais alors âgé de treize ans et avec mon père, nous avons décidé d'accorder notre confiance à une de ces personnes. Celle que nous avions choisie m'a alors dit que mon avenir n'était plus à Lyon, elle m'a fait croire que l'herbe était plus verte ailleurs. Bien qu'il ne faille pas me décevoir, je suis quelqu'un qui accorde vite sa confiance. Quand on me dit qu'il faut que je quitte l'OL, je ne veux pas parce que je m'y sens très bien, je ne me vois absolument pas quitter mon club. Finalement, il arrive à nous convaincre mon père et moi, et mon agent demande mon départ de Lyon. Au début le club ne veut pas, il n'y voit aucun intérêt, mais après plusieurs mois, le club cède. Ainsi, l'agent me demande de lui faire confiance, et me fait signer au Havre. C'est la raison pour laquelle j'ai quitté l'OL.

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Au cours de ta période au Havre tu es toujours surclassé et des clubs tels que Manchester City et United, Chelsea, Arsenal ou l’Atlético de Madrid t’ont courtisé. Le Real Madrid avait même envoyé un de ses membres pour te superviser avec les U17, comment as-tu géré toute cette pression ?

En réalité, cette pression, je devais déjà la gérer à Lyon. On m'avait déjà parlé de tout cela à l'OL, quand j'avais signé au Havre cela avait également fait pas mal de bruit, quelques articles étaient parus. Mais c'est vrai que cette pression n'est pas facile à gérer. Chaque week-end, des personnes viennent te scruter, t'analyser dans les moindres gestes et détails, dans tout. Des gens du football comme d'autres simplement curieux. C'est compliqué, car tu te dis que tu n'as pas le droit à l'erreur, que tu ne dois rien rater et c'est dans ces moments que tu commences un petit peu à te crisper et te bloquer, et malheureusement, c'est tout ce qu'il ne faut pas faire.

Je pense qu'on ne devrait pas avoir une telle pression si jeune, on devrait en être protégé. Ce n'est pas normal d'être propulsé dans un monde d'adulte alors que l'on a à peine 15-16 ans. C'est compliqué à gérer à la fois pour toi, mais aussi pour tes parents, surtout quand ce monde leur est inconnu comme dans mon cas. Après, cela reste une fierté malgré tout, c'est gratifiant de se dire que des grands clubs s'intéressent à toi. Mais évidemment que cette pression parfois négative existe. Moi, je considère avoir réussi à la gérer, mais parfois, c'est compliqué.

À l’été 2020 tu quittes le Havre et tu vas passer passer des tests un peu partout en Europe dont au Milan AC. Raconte-nous.

Au Havre, j'ai des clubs étrangers qui s'intéressent à moi et qui montrent surtout un réel intérêt. L'agent qui s'occupait de moi à l'époque me dit qu'il faut foncer et ne pas hésiter, que même à seize ans l'étranger était bon pour moi. Le Havre sent alors que mon départ est proche, donc tout s'est un peu compliqué là-bas. J'étais sous contrat avec eux et ils ne voulaient pas que je parte ainsi et en réalité, encore une fois, moi non plus je ne voulais pas partir ! Mais mon agent insiste, je fais une nouvelle fois confiance, et je quitte un club dans lequel je me sentais vraiment bien. Du coup, à mon départ, alors que j'ai encore quinze ans, des clubs se manifestent, mais ne proposent rien de concret étant donné que je n'ai pas encore seize ans. Donc, à l'approche de mes seize ans, des clubs m'invitent à visiter leurs installations, entre autres le Milan AC. La presse a qualifié cela comme un "test" mais cela n'en était pas réellement un. Ils m'ont simplement fait visiter le centre d'entraînement et proposé de m'entraîner. Du coup, j'ai fait trois séances d'entraînement, ce n'était pas un réel essai d'une semaine.

Et du coup, ont-ils donné suite ?

Après cette parenthèse à Milan, je suis donc rentré chez moi et j'ai fêté mes seize ans. Par la suite, j'ai eu beaucoup de propositions, certaines de grands clubs. À ce moment-là, beaucoup d'agents m’appellent, c'est très compliqué à gérer. Ils t'appellent, tu leur parles de tes agents qui t'ont fait quitter Lyon puis le Havre, et ces personnes te pondent ensuite un discours qui te plaît, dans lequel tu te reconnais, ils te promettent la lune et toutes sortes de choses. J'ai pris la décision de faire confiance à l'un d'entre eux, qui me dit qu'il allait gérer tout cela et que moi, je n'ai qu'à me concentrer sur moi-même. Du coup je m'entraînais seul chez moi avec un préparateur physique, c'était un peu compliqué, car je ne jouais plus de matches, mais je tenais parce que j'étais convaincu qu'il y allait avoir quelque chose au bout et que je devrais être prêt physiquement pour ce moment. Le temps passe, et je vois que je ne signe nulle part, je me demande alors si les propositions de contrat que j'ai eu existent toujours.

J'appelle donc l'agent, je lui pose la question et il me répond que c'est normal, qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir, que j'allais signer dans un club, du coup, je ne m’inquiète pas trop. Je continue donc à m'entraîner, le temps continue de passer, mais rien ne bouge. J'appelle donc de nouveau l'agent pour lui dire qu'on ne peut pas en rester là, que cela fait quasiment six mois qu'on est ensemble, qu'il existe de très belles propositions concrètes qui en plus, m’intéressent vraiment. Finalement, je me retrouve à signer nulle part, parce que je lui ai accordé ma confiance ! À ce moment-là, il ne sait pas quoi répondre à part me dire qu'il ne faut pas s'inquiéter, mais cette fois, j'ai tout stoppé et j'ai arrêté de travailler avec lui. Résultat des courses, je me retrouve en période de covid avec six mois sans d'inactivité, et évidemment cela change complètement la donne. Les clubs se demandent si je suis toujours le même joueur et si je suis prêt physiquement.

Je pense qu'on ne devrait pas avoir une telle pression si jeune, on devrait en être protégé

Ces six mois d'inactivité sont pour le moment le tournant de ta jeune carrière ?

Complètement, c'était soit un tournant qui me permettrait d'aller plus haut, soit de me faire descendre et c'est ce qui s'est passé, pour des raisons futiles. Moi, je me foutais de l'argent, je voulais seulement jouer au football.

Un moment tu as stoppé tes relations avec ton ancien agent, tu étais certes très jeune, mais penses-tu que tu aurais dû intervenir plus tôt ?

Aujourd'hui, avec du recul, cette situation, je la vis bien. Je m'en suis servie pour apprendre et grandir. J'ai décidé de le prendre comme une leçon et je ne regarde plus trop derrière moi. Mais il est vrai que j'aurais dû faire cesser cela beaucoup plus vite, mais voilà j'étais jeune et mon père ne connaissait pas le milieu. Dans ce contexte, c'est difficile de démêler les vraies paroles des fausses et de savoir en qui tu peux avoir confiance et en qui tu ne peux pas. En réalité, j'aurais dû dire non dès qu'on m'a demandé de quitter l'OL.

Ton image auprès des clubs intéressés s'est-elle retrouvée ternie à cause de tout ça ?

Oui, ça m'a un peu grillé et fait passer pour un jeune qui aurait déjà de grandes prétentions financières. Quand j'ai tout appris, cela m'a mis hors de moi. Je me suis entraîné seul durant six mois, j'ai quitté Lyon puis le Havre, j'ai fait confiance à des personnes puis j'ai de nouveau accordé ma confiance à d'autres et je me suis fait avoir. Mes rêves de gosses Manchester City, Arsenal, le Real Madrid, je les vois alors tous me passer sous le nez en l'espace de six mois. L’ascenseur émotionnel, il est énorme à ce moment-là. J'avais des attentes très très hautes et je suis redescendu tout en bas, lorsqu'on m'a annoncé que je n'avais plus aucune proposition et qu'en plus ce n'était pas de ma faute.

Aujourd'hui quels conseils peux-tu donner à un jeune joueur sur la gestion de son entourage ?

Déjà de prendre son temps avant d'accepter dans son entourage une nouvelle personne. Mais également de ne pas s'entourer d'une personne qui débarque pour toi au moment où tout est beau et tout est rose. Un jeune devrait plutôt choisir quelqu'un lui exposant un vrai projet avant même que sa cote ait commencé à grimper et que des clubs aient émis un quelconque intérêt.

Te sens-tu bien conseillé désormais ?

Désormais, je me sens très bien, je suis avec USM Group qui est dirigé par Christophe Mongai. J'ai avec lui une très bonne relation, c'est quelqu'un avec qui je me retrouve au niveau des valeurs, de ses paroles et de son projet. Et comme je l'évoquais plus tôt, c'est une personne avec qui je me suis mis à travailler à une période où c'était très compliqué pour moi. Il m'a amené au bon endroit pour trouver ce que je cherchais. En l’occurrence retrouver du temps de jeu, la compétition et l'enchaînement des matches.

Moi, je me foutais de l'argent, je voulais seulement jouer au football

Finalement, après six mois sans club, tu signes au Bastia Borgo en Corse. Un choix qui peut paraître surprenant pour quelqu'un qui ne connaît pas ton histoire. Qu’est-ce qui a justifié ton choix ?

L'agent que j'avais à l'époque m'a conseillé de signer à Bastia-Borgo, car il s'est passé beaucoup de choses, qu'il fallait un petit peu de discrétion et que ce serait intéressant de retrouver un peu de temps de jeu en National. Au départ, je ne voulait pas aller en National, c'était trop différent. Je sortais d'une formation lyonnaise et havraise, j'avais 16 ans. Malgré tout, je signe pour une courte durée de six mois, qui sont passés très vite. Tout s'est très bien déroulé là-bas, j'ai été superbement reçu dans ce club vraiment très familial, c'était une belle expérience à vivre. Et surtout ce que les gens ne savent pas, c'est que cette courte période m'a permis d'apprendre énormément. Je me suis très vite retrouvé avec des séniors, dans un championnat compliqué. J'ai beaucoup appris sur le plan mental, sur le plan tactique et pas mal d'autres choses que je n'avais pas pu voir à Lyon ou au Havre. Donc j'en suis sorti grandi, bien que j'ai peu joué parce que j'étais très jeune.

Depuis juillet 2022 tu es à Dunkerque. Quels sont tes plans à l’issue de la saison ?

Comme je l'ai dit plus tôt, je me sens très bien à Dunkerque. Je m'entraîne avec le groupe professionnel, qui est vraiment un bon groupe, ils jouent cette saison la montée en Ligue 2. J'apprends beaucoup de ce groupe exigeant. Quant à mon avenir, j'ai des objectifs à terme qui sont de devenir un grand joueur et de gagner des titres. Mais désormais, je ne me projette plus en me disant "dans un an, je veux être à tel endroit". Je me projette désormais à très court terme, je prends chaque week-end l'un après l'autre. Chaque semaine, j'essaye d'être meilleur que la précédente. Je donne le maximum en match avec les U19 et à l'entraînement avec les professionnels, afin d'être prêt si le coach décide de faire appel à moi. Donc je ne me vois pas évoquer mon avenir dans six mois, je peux simplement parler de mon implication dans le collectif lors des prochaines semaines.

Peut-on dire que tu as repris gout au football à Dunkerque ?

C'est cela, toutes ces épreuves m'ont fait beaucoup de mal et mentalement ce fut très compliqué. Quand on connaît mon histoire, je pense qu'on peut la comprendre. Dunkerque m'a permis de ne plus regarder derrière moi, mais devant moi. Pour cela, je ne pourrais jamais les remercier assez. Franchement, c'est soulageant d'être dans un environnement sain dans lequel on peut évoluer, progresser, apporter sa pierre à l'édifice. Aujourd'hui, je suis heureux parce que je joue au football et je ne peux que me sentir bien.


Propos recueillis par Bilal BEY

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