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10 novembre | 17h45

Drancy, Montfermeil, Torcy, la formation francilienne à son top

Dans un football qui se professionnalise de plus en plus tôt et qui laisse de moins en moins de place aux structures plus modestes, les clubs de Drancy, Montfermeil et Torcy prouvent que le travail peut être bien fait sans avoir des moyens énormes. Plongée au cœur de l’élite de la formation francilienne. (Crédit photos : Clubs)

U19 NATIONAUX U17 NATIONAUX JA DRANCY FC Montfermeil US Torcy

Avec 15 équipes d’Ile-de-France engagées en championnat national U19 et U17, la région parisienne est très bien représentée. Si bien entendu, les locomotives que sont le PSG et le PFC en sont pour quelque chose, il faut mettre en avant des clubs plus surprenants, qui sont loin d’avoir les mêmes moyens que ceux de leurs voisins. Pourtant, ces clubs, au nombre de trois, arrivent à placer six équipes au plus haut niveau national chez les jeunes. Une dans chacune des catégories, un véritable exploit. Encore mieux, ces équipes ne sont pas là pour faire de la figuration. Alors quel est le secret de Drancy, Montfermeil et Torcy, puisque c’est d’eux que l’on parle. Pour y répondre, nous sommes allés échanger avec ceux qui sont le mieux placé pour nous éclairer, à savoir les entraîneurs des jeunes pousses franciliennes, appelées à représenter fièrement la première région de France.

Actufoot • Torcy U19

L'US Torcy prouve depuis de nombreuses années qu'il est possible de rivaliser avec les structures professionnelles

Alors que des grosses structures comme le Red Star ou l’US Créteil n’ont aucun représentant à ce niveau, ces trois clubs arrivent à faire le doublé et pour Nassim El Abdi, coach des U19 de Drancy, dont le club est au plus haut niveau national depuis plus de 10 ans maintenant, cela n’est pas le fruit du hasard : « On a toujours été dans l’envie de s’améliorer et d’identifier les axes d’améliorations pour pérenniser cette équipe. A chaque fois, on a su établir des stratégies et on est resté sur les mêmes éducateurs depuis une dizaine d'années, en faisant confiance à ceux déjà au club. Chacun connaissait sa tâche et tous ont accepté de bosser ensemble. » Une cohésion d’ensemble indispensable et nécessaire pour la bonne tenue d’un projet club, qui trouve écho dans les dires de Bruce Abdoulaye, entraîneur des U19 de Torcy : « L’idée a été de fidéliser les éducateurs et de mettre en place une philosophie, avoir notre identité et être dans le partage et la transmission. En essayant de mettre en place une réflexion globale sur les catégories U17 et U19. On se trompe très peu dans les profils car on se concertent entre nous dès l’entrée en U16 pour pouvoir se projeter sur 1 à 4 ans et même avant cela car le meilleur réservoir d’un club c’est aussi son école de foot et quand on voit comment ça travaille chez nous, on ne peut qu’être satisfait et s’appuyer dessus. » Un avis partagé par Tarek Sakali, en charge des U17 du club Seine-et-Marnais : « À Torcy, il y a un maximum de nos joueurs qui ont commencé en école de foot, il y a donc des moyens qui sont mis en amont en préformation avec des éducateurs qui ont de l’expérience et qui peuvent accompagner le joueur dans sa progression. Donc forcément à notre niveau, on se retrouve avec des joueurs qui ont des bonnes caractéristiques. »

Quand on propose une entrée chez nous, c’est un projet de pérennisation et on veut tenir nos engagements par rapport aux familles qui croient en nous et qui nous font confiance pour laisser leurs enfants. » 

Bruce Abdoulaye, coach des U19 de Torcy

Du côté de Montfermeil, cet aspect que représente le travail en équipe est tout aussi primordial, comme le souligne Fabio Frasconi, qui s’occupe des U17 du club dionysien : « Le club progresse de plus en plus sur toutes les catégories et de plus en plus tôt. C’est un ensemble, moi je ne récupère pas un joueur qui est au club depuis les U13 sans le connaître. Il y a un gros travail de cohésion entre les catégories et beaucoup d’éducateurs vont voir d'autres éducateurs et d’autres équipes jouer. De plus, on ne va jamais essayer de garder un joueur dans notre équipe. S’il est bon, il va au-dessus. Par exemple dernièrement, un joueur des U16 dont le coach m’a parlé nous a rejoint en U17N et par conséquent il n’a pas pu disputer un match important de coupe avec ses coéquipiers (défaite contre Fleury). On s’entraide vraiment, il y a un gros travail d’équipe, on s’entend tous bien, on se voit en dehors, il n’y a pas de tension. »

Alors qu’on sait que dans certains clubs, il y a des équipes dans l’équipe, cette cohésion est sans conteste l’un des atouts majeurs de la réussite de ce trio. Dans une région parisienne remplie de talents et de qualités avec un bassin de joueurs volumineux sans comparaison, il n’est pas étonnant qu’il y ait autant de clubs franciliens à ce niveau. Pourtant, c’est loin d’être aussi facile quand on n’a pas les moyens financiers pour parvenir à ses fins. Beaucoup de clubs pros viennent en effet recruter dans les clubs amateurs et ce n’est pas toujours simple de lutter. Du côté de Torcy, on a mis en place une base de données qui permet d’avoir une traçabilité sur les meilleurs joueurs en fonction des catégories et des années d'âge. Un outil indispensable car sans recrutement en amont, il est impossible d’avancer. D'où l'importance de connaître à l’avance les futurs besoins et d’effectuer un suivi sur plusieurs années. De plus, il y a un sentiment de devoir vis-à-vis des familles des joueurs. Bruce Abdoulaye : « Quand on propose une entrée chez nous, c’est un projet de pérennisation et on veut tenir nos engagements par rapport aux familles qui croient en nous et qui nous font confiance pour laisser leurs enfants. »

Du travail à faire sur les infrastructures

« On ne se considère pas forcément bien en dessous des clubs pros. La différence est qu’on paye cash si on n’est pas à notre meilleur niveau. Les petits détails font la différence, par exemple le fait de pouvoir jauger l’extra-foot, le travail de l’ombre comme le sommeil, la nutrition ou autre. Il faut de notre côté être très rigoureux. La différence sur l’année est faite sur le suivi du joueur mais pas forcément sur l’entraînement et le terrain, même si bien entendu ils ont plus de moyens matériels et humains que nous. » Fabio Frasconi a parfaitement résumé. Dans le football d’aujourd’hui, chaque détail à son importance et à une époque où le niveau se resserre un peu plus tous les ans, le futur doit passer par des améliorations. Tarek Sakali, coach principal depuis trois saisons, poursuit : « Il y a des contraintes financières et humaines, au niveau de l'accompagnement, du matériel … Par exemple, en déplacement on se retrouve dans un minibus les uns sur les autres. Vous savez, le club qui mange un sandwich sur la route ou celui qui peut se permettre de manger au resto ou d’arriver la veille, n’est pas logé à la même enseigne, il y a une grosse disparité. »

Cependant, les choses avancent comme le rappelle Valère Laurent, entraîneur des U19 à Montfermeil : « Je vois le club évoluer dans le bon sens. On était avec un terrain en sable et pendant 4 ans, tous les matches amicaux on les faisait à l’extérieur car personne ne voulait venir chez nous. Les infrastructures s’améliorent, les éducateurs se forment … mais ce n'est pas fini. Je pense qu’à terme pour continuer dans ses divisions là, l’apport d’un internat sera primordial. » L’ajout d’un internat est sujet qui divise selon les entraîneurs. Si du côté de Bruce Abdoulaye, on est d’accord avec Valère Laurent en estimant que développer les infrastructures et proposer un système d’hébergement permettrait de pouvoir toucher un maximum de garçons venant hors de la région afin de rivaliser avec certaines structure pro ou semi pro, du côté de Nassim El Abdi, on n’est pas d’accord : « Ce qui fait notre force en Ile-de-France, c’est que nos gamins ne sont pas dépaysés par rapport à leur cellule familiale. Dans les centres de formation, en internat, cela a du bon pour la performance car ils les ont tous les jours sur place, mais sur le plan de la régénération mentale, je pense qu’il va leur manquer de temps en temps quelque chose. »

On est éducateur avant d’être coach, on s’occupe des joueurs individuellement et quand ils ont des problématiques scolaires, personnelles ou familiales, on intervient beaucoup dans les familles mais cela fait la force du club.

Valère Laurent, entraîneur des U19 de Montfermeil

Celui dont nous vous avions fait le portrait il y a plusieurs semaines, avance en revanche une autre priorité : « Il faudrait pourquoi pas recentraliser le sport dans nos écoles afin de permettre à des jeunes joueurs identifiés "haut niveau amateur" de bénéficier d'horaires aménagés de leur emploi du temps. Cela leur permettrait à mon sens d'être plus épanoui. Par exemple, leur permettre de s'entraîner le matin une à deux fois par semaine au lieu des fin de soirée, mais pour ça, il faudrait repenser notre système scolaire, c'est un enjeu majeur pour la pérennisation du foot amateur en jeunes. » Être bien dans sa tête pour être bon sur le terrain, voici un autre défi auquel sont confrontés ces entraîneurs et auxquels ils accordent une importance primordiale.

Alors qu’on leur demande beaucoup d’intensité intellectuelle, ce n’est pas toujours évident pour des garçons qui ont parfois une heure et demie de transport après une journée d’école. Bruce Abdoulaye précise : « On leur demande une nouvelle charge de concentration le soir et ils ne peuvent pas être en dessous de 100% pendant les séances. Mais quand on sent qu’un garçon est moins bien, on a la chance d’avoir un staff de 8 personnes qui nous permet à chacun d’avoir notre rôle et de pouvoir trouver la problématique du joueur car cela peut être scolaire, extra-scolaire, familial … » Valère Laurent enchaîne : « On est éducateur avant d’être coach, on s’occupe des joueurs individuellement et quand ils ont des problématiques scolaires, personnelles ou familiales, on intervient beaucoup dans les familles mais cela fait la force du club. En revanche, c’est très prenant, par exemple, j’ai dû faire une médiation familiale jusqu’à 23h30 l’année dernière. Il y a des mineurs isolés qui n’ont pas forcément de famille, de papier … on les accompagne à la régularisation, dans les démarches administratives. »

Un niveau qui se resserre avec les structures pro

On pourrait penser que ce travail de l’ombre peut avoir des répercussions sur le travail et les résultats sur le terrain, par faute de temps, pourtant au fil des ans l’écart à tendance à se réduire de plus en plus avec les clubs pros. Pour Bruce Abdoulaye, il n’y a pas de doutes : « Tous les éducateurs sont formés et passent les mêmes diplômes. Certes les moyens diffèrent mais on ne peut pas se cacher derrière ça, encore moins à Torcy. Après est-ce que les clubs pros prennent les meilleurs profils d’années d’âge dans leurs équipes, c’est une autre question. En tout cas, cela peut nous permettre de faire des bons coups et avec du travail de rivaliser avec eux, et puis c’est flatteur quand c’est eux qui nous demandent des vidéos pour préparer les matches. On joue le jeu, cela se passe super bien sur le terrain. » « Le football évolue, les structures pros ne préfèrent pas jouer les clubs amateurs car ils se disent qu’ils sont capables de perdre des points bêtes, que ça va être compliqué », complète Valère Laurent.

Pour Fabio Frasconi, il en est certain, son club attire de plus en plus, comme l'attestent le nombre de signatures et l’objectif est d’aller chercher toujours plus au fil des ans. Nassim El Abdi regrette lui certains comportements qu’il peut rencontrer : « Avant le match tout va bien, mais après la rencontre, quand tu les as accrochés, ils tirent un peu la tronche. Je n’ai jamais reçu de vidéos ou d’opposition avec un centre de formation alors qu’ils nous demandent une étroite collaboration vis-à-vis du recrutement et qu’on leur procure des infos par exemple. Pour nous prendre un joueur, ils nous caressent dans le sens du poil, mais ils sont réticents pour partager sur la méthodologie d’entraînement, il n’y a pas forcément d’aide, il y a très peu d’éducateurs ou directeur technique qui sont invités à titre gratuit pour présenter la façon de travailler. »

Actufoot • Nassim El Abdi

Nassim El Abdi, coach des U19 de Drancy, dont le travail est loué par tous, actuellement à la 4eme place de la poule A du championnat

La réussite de ces trois clubs au plus haut niveau national chez les jeunes prouve que le travail bien effectué et le fait d’avoir de bonnes idées est un gage de résultats. Pourtant rien n’est acquis et on ne sait jamais de quoi le futur sera fait, comme le confie Tarek Sakali : « C’est une chance et un luxe d’avoir des U17 et U19 Nationaux à Torcy mais c’est aussi tellement de contraintes, de sacrifices et d'efforts. On reste prudent car le football évolue beaucoup, on tient sur un fil. Parfois, on se demande dès fois si ça vaut le coup de les avoir mais on sait que pour le prestige, la visibilité, c’est important et on travaille dur pour ça. » Son collègue de l’US Torcy Bruce Abdoulaye espère un horizon dégagé très rapidement : « Être ici c’est de la fierté car j’y ai joué en jeune et je suis revenu au club car ma volonté c’était de transmettre. On a mis en place un système de travail dans lequel tout le monde trouve sa place et aujourd’hui les résultats que l’on a ne sont pas à la hauteur de la débauche de travail qu’on met et j’espère que ça va venir rapidement car le club a vraiment mis les moyens. »

Bien que toujours perfectionniste ces coachs, certains reconnaissent cependant savourer le plaisir du chemin parcouru : « C’est gratifiant d’être numéro un dans un groupe de Nationaux car ça demande tellement d’effort », nous explique Tarek Sakali, avant de laisser le mot de la fin à Fabio Frasconi, qui fait des merveilles à Montfermeil, notamment l’année dernière avant l’arrêt du championnat à cause du Covid (premier avec Lens suite à 6 victoires et un nul en 8 rencontres) : « Je pense que ces dernières années, on a réduit l’écart avec les clubs pro et c’est une fierté pour l’ensemble des clubs d’en mettre pas mal derrière nous avec moins de moyen. »

Dans un football français plus que jamais dépendant de ces clubs amateurs, qui forment la quasi-totalité des joueurs avant que ceux-ci entrent en centre de formation en fin de cycle, les clubs de Drancy, Montfermeil et Torcy sont un exemple de réussite. A force de travail mais aussi grâce à l’implication et la compétence des passionnés qui les font, ils sont à saluer et démontrent une fois de plus la belle santé des clubs franciliens dans le football de jeunes.

Reynald Trunsard

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