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Interviews

1 décembre | 17h15

Joël Bats : « Un match qui tient toutes ses promesses, il n’existe rien de mieux »

Inutile de le présenter. Joël Bats est un monument du football français. À la fois pionnier avec les Bleus et le PSG, et entraîneur de ses glorieux successeurs. Un fil, argenté comme ses boucles, qui relie le passé au présent. Pour la sortie de son livre « Amour Foot », il nous a fait l'honneur d'échanger pendant une heure.

Jöel Bats

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Vous avez co-écrit un livre avec Dali Sanschagrin, qui s’intitule « Amour Foot » et publié aux « Éditions La Presse ». L’ouvrage prend la forme d’une discussion enflammée entre une « soccer mom » (une mère d’un jeune joueur de football) et un champion, ponctuée par les participations de Fabien Barthez, Hugo Lloris, Marinette Pichon, et Michel Platini. Quel est le point de départ de ce livre ?

C’est d’abord une rencontre. Alors que j’entraînais le CF Montréal (anciennement appelé Impact de Montréal, NDLR) avec Rémi Garde et Robert Duverne, la maman de l’un des jeunes du club vient vers moi à la fin de la séance de l’équipe première. On discute derrière les buts au milieu d’autres parents quelques minutes, puis ça s’arrête là. Et, quelques semaines plus tard, le CF Montréal ne nous conserve pas. Je me retrouve donc à Montréal, au chômage. C’est à ce moment-là que Dali me sollicite à nouveau. Elle a déjà écrit des livres sur différents sujets par le passé, et elle me propose d’en co-écrire un avec pour sujet principal les jeunes dans le football, et leurs parents. Je me dis alors « pourquoi pas », sans vraiment savoir dans quoi je m’engage. Puis je me prends petit à petit au jeu et ça devient sérieux. Pour finalement aboutir au livre que vous avez sous les yeux.

Concrètement, comment s’est déroulée la conception du livre ?

On a, dans un premier temps, commencé à travailler à Montréal, mais avec le Covid je suis rapidement rentré à Lyon. L’essentiel de nos discussions s’est alors fait par téléphone, de Montréal à Lyon, puis de Tunis à Lyon (après le transfert du fils de Dali Sanschagrin à L'Espérance sportive de Tunis, NDLR). Ce qui n’a pas forcément rendu la tâche facile avec le décalage horaire, mais on s’est toujours débrouillé. On échangeait par mails ou messages nos idées, nos dessins ou les interviews des joueurs que j’ai faites…

Pourquoi avoir retranscrit ces échanges sous la forme d’un dialogue ?

Fabien Barthez m’a dit : « J’ai lu ton livre en deux jours et j’ai eu l’impression que c’était moi qui l’avais écrit. » Il m’a dit ça comme ça. Je lui ai dit que c’était le plus beau compliment qu’il pouvait me faire. C’est pour ça que l’on a retranscrit ça comme un dialogue entre un parent et un coach, cela permet à tout le monde de s’identifier. Ce sont des échanges, donc c’est très vivant. Il y a des recherches. Des anciens joueurs parlent…

C’est là, dans l’insouciance, qu’on apprend nos bases. Je dirais même que c’est là qu’on apprend le plus. En ces temps-là, on ne pensait pas du tout à être pro. En tout cas, moi, je n’ai jamais pensé à ça. (...) Les jeunes footballeurs, s’ils ne pensent qu’à devenir riches et connus, passeront à côté de l’essentiel de ce sport. Pour moi, le football, c’est la passion du jeu, point. Ce n’est pas de savoir qui fait quoi. C’est le jeu pour le jeu... Malheureusement, cette passion se perd un peu.

Fabien Barthez

Dans sa préface, Didier Roustan parle de la rencontre entre l’eau et le feu pour parler de vous et Dali Sanschagrin…

Le feu et l’eau. L’impétueuse et le sage. La maman presque hystérique, par moment, et le coach sage qui veut tempérer. C’est un peu ça. Elle pose plein de questions, qui sont parfois candides, mais en posant ces questions candides elle revient souvent aux bases, à des fondamentaux, et ça te fait réfléchir. Et puis je me suis rappelé des choses, plein de choses de ma jeunesse, et c’est là que l’on se dit que le monde évolue à une vitesse incroyable.

Malgré ça, ce qui transpire dès les premières lignes c’est que vous restez un amoureux fou du ballon, et de la vie.

Parce que pour moi, le point de départ a toujours été l’amour du jeu et le plaisir de jouer. Tandis que de nos jours, beaucoup de jeunes veulent seulement devenir professionnel, gagner beaucoup d’argent ou être médiatisé. C’est sur ce point-là que le monde a changé, c’est dans la tête de nombreuses personnes.

À cause de l’aspect financier ?

Bien sûr. Les parents, avec tout ce qu’ils lisent, tout ce qu’ils entendent, ils se disent : « Pourquoi pas nous ? Pourquoi pas mon fils ? » Je vais vous lire un passage de Fabien Barthez dans le livre qui fait écho à ça : « C’est là, dans l’insouciance, qu’on apprend nos bases. Je dirais même que c’est là qu’on apprend le plus. En ces temps-là, on ne pensait pas du tout à être pro. En tout cas, moi, je n’ai jamais pensé à ça. Ces parties sans autre contrainte que le bonheur de se retrouver autour d’un ballon rond ont développé chez moi un état d’esprit fait de passion et d’audace que j’ai toujours derrière le volant aujourd’hui lors de mes courses de voiture ! Les jeunes footballeurs, s’ils ne pensent qu’à devenir riches et connus, passeront à côté de l’essentiel de ce sport. Pour moi, le football, c’est la passion du jeu, point. Ce n’est pas de savoir qui fait quoi. C’est le jeu pour le jeu, point. Malheureusement, cette passion se perd un peu. »

Dans le livre, vous faites à ce sujet très rapidement le constat que « ce sport est entré dans un âge de déraison ». Pourquoi ce tournant ?

C’est l’argent, mais c’est aussi la manière dont tout ça est gouverné. C’est la course à toujours plus. Dans tous les domaines. Regardez l’affaire des droits télés récemment. C’est allé tellement loin, qu’à la fin certains n’arrivent même plus à payer. Ce sont des courses à la déraison. On dit que le Covid va calmer plein de gens, mais je suis persuadé que dans quelques années ça va reflamber et que ça reflambe déjà encore. Ça va creuser le fossé. Dans la vie de tous les jours, il y a aura les très riches et les autres. Il n’y aura plus de classe moyenne. Ou de moins en moins. Dans les clubs, mais aussi chez les joueurs, il y aura des joueurs très bien payés et des joueurs d’appoint. Et, entre les deux, il n’y en aura presque plus personne.

Actufoot • Joel Bats photo 750 500

Jöel Bats sur le banc de l'OL en 2014.

Ce livre, à son échelle, c’est une sorte de contre-pouvoir ?

Non, ce n’est pas pour donner une leçon ou dire ce qu’il faut faire. C’est avant tout une photographie du football à travers les âges. On évoque par exemple l’époque où j’étais à Auxerre et que le sponsor était celui qui offrait le bus au club pour les déplacements, alors qu’aujourd’hui ce dernier a son naming dans le stade… Avant ils offraient le bus, maintenant ils offrent les stades. Ce sont des mondes différents, et il faut être capable d’y trouver le plaisir du jeu, l’amour du jeu, et tout ce que le football peut engendrer comme émotions. Parce qu’il est capable d’en apporter beaucoup. Un match qui tient toutes ses promesses, c’est pour moi plus beau que la plus belle pièce de théâtre ou tout ce que vous voulez ! Pour un passionné, il n’y aura rien de mieux...

Et pourtant il entraîne toutes ces dérives…

C’est vrai et je pense d’ailleurs que les médias et les réseaux sociaux jouent un rôle dans tout ça. C’est également la course à l’engrenage. C’est celui qui dit le plus de bêtises, le plus de mal de l’un ou de l’autre, qui va être le plus écouté. Celui qui va parler du jeu, qui va être propre, qui dira les choses comme elles sont, il sera moins écouté que celui qui polémique. Celui qui polémique va intéresser les patrons des chaînes. Je dis stop ! Pourquoi il n'y aurait que des « méchants » ? Pourquoi les gentils, qui disent des choses vraies, n’existeraient-ils pas ?

Par rapport à ça, d’un point de vue extérieur, du fait d’une communication fermée à double tour notamment, on a parfois l’impression que l’aspect « humain » a disparu de ce sport, du moins au très haut niveau. En ce sens, votre amour, « vos poulets », donnent de l’espoir. Il y a encore de la vie de l’autre côté du miroir ?

Bien sûr que ça existe encore, et il y a des gens capables de recevoir. De donner et recevoir. C’est ça qui est important. Savoir recevoir c’est important aussi. Parce que certains ne font plus attention à rien, ils ont des œillères et ils foncent. Peu importe ce qu'il se passe autour. C’est comme dans la vie de tous les jours, il y a des gens bien et d’autres moins.

Edouard Mendy, deuxième au trophée Lev Yachine. Vous avez vu son parcours ? Vous avez vu à quel âge il a commencé au plus haut niveau ? Aujourd’hui il joue à Chelsea ! Donc, vous croyez que la spécialisation précoce chez lui a joué un rôle ?

Jöel Bats

Il y a un autre point dans votre livre qui est très important je pense, et qui est longuement travaillé, c’est « l’interventionnisme » des parents, parfois pour le bien de son enfant, parfois pour des intérêts pécuniers, … On parle, au niveau amateur, d’éducateurs qui ne peuvent plus travailler, d’arbitres qui ne peuvent plus travailler non plus…

Je pense qu’il s’agit d’abord d’éducation. Ensuite, je pense qu’il devrait y avoir une charte de bonne conduite dans les clubs amateurs, que les parents s’engagent et signent quelque chose quand leur enfant entre dans le club. Pour qu’ils respectent un certain nombre de choses. Et, quand un parent commencera à sortir du cadre, le club pourra lui dire : « Vous voyez ce que vous avez signé en début de saison ? » Ce serait un point de départ, en tout cas.

Ça doit venir d’en haut non ? Pour que cela soit global à tous les clubs amateurs. Sinon, le joueur à qui on demande de signer la chartre pourrait vouloir signer ailleurs…

Je ne sais pas la manière exacte dont ça pourrait être fait, mais ce qui est sûr c’est que le respect est capital. Par rapport à ça, dans le livre, il y a un passage appelé « Éducateur, formateur, entraîneur : à chacun son rôle ». Il y est écrit : « L’initiateur, ou éducateur, est un guide. Il encourage le côté créatif et la prise d’initiative de ses joueurs. Il a un rôle d’éveil et d’initiation, il enseigne le respect et le fair-play, il encourage le plaisir de jouer, il privilégie le jeu et la découverte par le jeu sans contrainte. Il développe la psychomotricité de l’enfant et il apprend aux jeunes à maitriser le ballon. » Donc, selon moi, l’éducateur ne doit pas apprendre à l’enfant à gagner, ce n’est pas son « truc ». Pourtant, certains jouent la gagne alors que le jeune n’est même pas formé pour. C’est contre ça que je me bats aussi. Certains vont dire : « Mais pourquoi il sort ce jeune, il ne faut pas, on va perdre parce qu’il a fait sortir le meilleur etc… » Mais non, tout le monde peut jouer à cet âge-là et tout le monde doit jouer !

Il y a un phénomène indirectement lié à ça, que vous appelez dans votre livre la spécialisation précoce, à savoir l’entrée parfois extrêmement jeune d’un enfant dans une structure professionnelle, avec toutes les contraintes que cela comporte comme l’usure mentale. Tandis que d’autres, qui sautent le pas bien plus tard, sont plus frais mentalement. Cette fraicheur est essentielle aujourd’hui pour durer ?

Mais bien sûr, et j’en parle dans le livre. Je suis contre la spécialisation précoce. D’ailleurs, j’ai eu un grand débat avec Dali sur ce sujet. Au départ, elle n’était pas convaincue, elle pensait même le contraire. J’ai réussi à lui démontrer par A + B que le football précoce n’est pas bon. D’autant qu’à notre époque il n’y avait pas les jeux vidéo, nous on allait au stade en vélo, on allait à l’école à pied, on montait aux arbres, on faisait des arcs et des flèches, on jouait dehors, on se baignait dans les rivières, on faisait plein d’exercices naturels que les gens ne font plus. On sollicitait plein de muscles pas forcément sollicités par le football. Chez les jeunes, il y a des sports comme le judo qui sont très complémentaires au football. Déjà, c’est un sport individuel (le judo, NDLR) qui va t’apprendre à respecter les autres, et puis il y a un ensemble de gestes qui pourront te servir plus tard pour faire une reprise de volée, un ciseau, un passement de jambes, etc

Comme ça a été le cas avec Fabien Barthez… (La photo de la licence de rugby de Barthez est présente dans le livre).

Exactement. Comme son papa était international en rugby, il a hésité longtemps entre le foot et le rugby, et il avait les deux licences. Le samedi il jouait au foot, et le dimanche au rugby. Ça l’a beaucoup aidé. Dans le livre, l’ancien recruteur de l’OL, Gérard Bonneau, raconte aussi la « fraicheur » d’Alassane Pléa quand il est allé le chercher dans son club (Wasquehal Football, NDLR) à l’âge de 15 ou 16 ans… Il y a de très bons formateurs dans le monde amateur et, en même temps, cela permet aux jeunes de continuer à jouer avec leurs copains, c’est important aussi. Un autre exemple plus récent : Edouard Mendy. Deuxième au trophée Lev Yachine. Vous avez vu son parcours ? Vous avez vu à quel âge il a commencé au plus haut niveau (Il a signé son premier contrat professionnel en 2016, NDLR) ? Aujourd’hui il joue à Chelsea ! Donc vous croyez que la spécialisation précoce chez lui a joué un rôle ? De toute façon, selon moi, celui qui doit y arriver y arrivera.

Le livre se ferme sur vos passions de la cueillette de champignons et de la pêche.

Oui ! (Grand sourire) C’est pour relativiser les choses. Je trouve que celui qui s’éloigne trop de la vie de tous les jours, du commun des mortels, il tombe de haut quand il arrête le football. Alors qu’être capable d’aller à la pêche, d’aller aux champignons ou de ramasser des œufs de poule dans le petit village où tu habites - ce sont des exemples -, cela te permet de te ressourcer, et de ne pas te retrouver sans rien à la fin de ta carrière. Il y aura d’autres choses que tu as faites toute ta vie, et que tu retrouveras.

Propos recueillis par Augustin Delaporte

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Pour l'amour du jeu.

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