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Interviews

17 décembre | 17h01

Julien Mette : "J’ai fait partie de la relance de la sélection du Djibouti"

Sélectionneur du Djibouti, il a fait des miracles permettant à l'équipe de disputer notamment les qualifications au Mondial 2022. Après plus de deux ans d'un travail acharné, il a appris son éviction sur Facebook. Son parcours, son départ, sa façon de voir le football, dans un entretien passionnant, Julien Mette s'est livré sans langue de bois.

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EXPAT DJIBOUTI Julien Mette

Julien, avant de connaître votre première expérience à l'étranger, c'est en France que vous avez fait vos premiers pas d'éducateur ?

Comme des millions de licenciés en club, je suis footballeur amateur à la base. Je suis originaire de la région bordelaise, qui n’est pas une grande région de football.
A part les Girondins de Bordeaux, vous n’avez pas de haut niveau professionnel. J’ai commencé à entraîner lorsque j’avais 20 ans, en 2002, dans le club où je jouais. J'ai fait mes premiers pas avec la catégorie benjamin (U12-U13) que j’ai dirigé durant trois années. Rapidement, j’ai obtenu la direction de l’école de football, en tant que Responsable Technique des jeunes (RTJ). Ensuite, j’ai entraîné les U15 avec lesquels nous affrontions le FC Libourne (FC Libourne-Saint-Seurin jusque 2009), « l’ogre du district » à cette époque. Jean-Marc Furlan (actuellement entraîneur de l’AJ Auxerre, ndlr) avait structuré le jeu libournais qu’on pouvait qualifier de « petit Barça ». Lors de nos oppositions face à ce club qui était la seconde académie de gironde, derrière les Girondins de Bordeaux, j’essayais de permettre à mes joueurs de produire du jeu face à ce type d’équipe que tout le monde craignait. Ceci a intéressé le responsable technique des jeunes de Libourne et le club a pensé à moi lorsqu’il était à la recherche d’un éducateur. J’ai donc effectué quatre saisons là- bas, lorsque le club évoluait en Ligue 2 puis en National. À cette période, j’encadrais la catégorie U14. Cette expérience vécue dans un club professionnel et structuré était très enrichissante pour mon apprentissage. Je dirigeais également la section sportive en partenariat avec des collèges et lycées. Par la suite, j’ai connu deux clubs de banlieue bordelaise, dont une structure semi-pro, Villenave qui évoluait en CFA-CFA2. Au total, je me suis occupé de toutes les catégories jeunes durant treize années en France, de l’école de foot aux U19.

Vous prenez ensuite la direction du Congo, un changement radical...

En 2014, l’un de mes anciens joueurs du FC Libourne me contacte en m’indiquant qu son père, numéro 2 d’un ministère au Congo est propriétaire d’un club de football cherche un entraîneur. Le projet de ce club était présenté comme « le Auxerre de Guy Roux ». L’objectif était de former et valoriser de très jeunes joueurs afin de les envoyer sur le continent européen. À ce moment, je souhaitais quitter la France mais je n’étais pas attiré par le continent africain, mon souhait se portait vers l’Amérique du Nord ou l’Asie du Sud-Est.

Le destin m’a rattrapé et j’ai pris la direction du Congo un été, pour deux mois

Julien Mette

J’ai tout de suite apprécié les fonctions que j’occupais. Mon premier match en tant que coach était un quart de finale de coupe du Congo, face à l’équipe la plus populaire du pays, devant 10 000 spectateurs. C’était exceptionnel.

...ensuite, un retour en France...

En 2015, je rentre en France afin de passer le diplôme UEFA A. J'ai perdu beaucoup de temps en France pendant ma tentative d’obtention du diplôme, j'étais un peu ‘’blacklisté’’ par le directeur de la formation d’Aquitaine. Je n’étais pas dans son profil d'entraîneur recherché, qui s’orientait vers d'anciens joueurs professionnels ou vers des coachs issus de la formation STAPS. L’ambiance qui régnait était dans l’esprit de ‘’formatage’’, où il était impossible de philosopher sur le football. Nous étions en désaccord sur des conceptions du football et du jeu. Quand lui parlait de « avant tout ne pas prendre de but » , moi je rétorquais qu’on pouvait aussi penser le football comme marquer un but de plus que l’adversaire, par exemple. Ou bien lorsque sur le terrain je plaçais mon équipe en 4-3-3 on me rétorquait qu’en France on ne joue pas ainsi, que c’est fini l’Ajax... Alors que nous étions en pleine période Barça de Guardiola... J’ai donc été pénalisé durant six ans avec un rattrapage à passer chaque année. Ce phénomène était malheureusement courant et très peu d'éducateurs le dénoncent par peur. Apparemment la DTN a refondé beaucoup de choses et des améliorations sont notables, on a encore du boulot quant à la diversité des profils ou l’acceptation des entraîneurs aux parcours d’exception, mais j’ai espoir que cela avance.

...avant de connaître des nouvelles expériences au Congo ?

J'obtiens mon diplôme UEFA A en 2015. En 2016 je pars au Congo pour entraîner le Tongo FC, une équipe de première division, l’équipe où j’avais fait mes premiers pas l’été 2014. Cette mission était difficile car après dix journées de championnat, le club était avant-dernier du classement avec 1 victoire pour 9 défaites. J’ai donc eu la tâche de faire sortir l’équipe de la zone de relégation avant la fin de la phase aller parce qu'il existait de nombreux problèmes pour financer le championnat. En effet, il n’était pas rare qu’à la mi-championnat l’activité se stoppe. Il était donc important d’être en dehors de la zone de relégation avant que ce type d’événement se produise. Nous avions donc 10 matches pour atteindre l’objectif, ce qui a été réussi avec 1 seule défaite lors de ces 10 matches. J’ai effectué la phase retour et nous avons terminé la saison 13e au classement. Pour un club qui jouait la relégation, c’était un bon résultat. J’ai entraîné un an et demi dans ce club, de la saison 2016 jusqu’au début de saison 2017. Je n’ai pas été payé pendant 10 mois donc j'ai fini par démissionner. J'étais nourri, logé, véhiculé, j'obtenais les primes de match mais je ne touchais pas mon salaire. La fédération Congolaise voulait me confier leur Centre National du Football, sorte de Clairefontaine, avec la responsabilité des équipes nationales U17- U20 mais malheureusement une décision politique a fait placer Valdo (l’ancien joueur du PSG) à ce poste.

2017, vous revenez une nouvelle fois en France, avant de repartir rapidement ?

Je fais mon retour pour quelques mois avant de prendre à nouveau la direction du Congo en 2018 pour occuper la fonction de directeur sportif de l’AS Otôho, un club promu en première division. Ce club ambitieux a remporté le championnat cette même année. Depuis ce titre, il est champion du Congo chaque année, c'est le gros club du pays avec les meilleurs joueurs et les plus gros moyens. Malheureusement on n’a pas suivi ma politique sportive, que je voulais baser sur la découverte de jeunes talents, associés à des joueurs expérimentés, plus des choses obscures qui ne correspondent pas à mon éthique. J’ai donc quitté Otôho avant la fin de saison 2018. En décembre de la même année, je reçois une offre de Djibouti via un agent. Celui-ci me parle de la sélection et me propose d’y aller. Dans le même temps, certains clubs en Côte d'Ivoire ou encore au Cameroun me sollicitaient. Mais je décide en janvier 2019 de prendre les rênes de l'équipe nationale du Djibouti et ce jusqu'au mois d'octobre 2021.

Une aventure qui s’est mal terminée ?

Dans la forme ça s'est mal terminé. Nous avons vécu les meilleures années du football djiboutien sous ma direction, en termes de résultats, de développement et de valorisation du style de jeu. Mon seul reproche est que les dirigeants auraient pu avoir un peu plus de classe et de dignité à la fin de l’aventure.

Qu'entendez-vous par là ?

Trois semaines avant mon départ, le président de la fédération djiboutienne de football m’indique que mon staff français (un analyste vidéo, un préparateur physique et un team manager) avait été limogé mais qu’en revanche, je poursuivais l’aventure à la tête de la sélection jusqu’en janvier 2022, date du terme de mon contrat. Trois semaines après, tout a changé. J’ai appris la fin de notre collaboration via le réseau social Facebook. Nous jouions deux matches au Maroc, face au Burkina Faso et en rentrant dans ma chambre d’hôtel, la fédération djiboutienne avait communiqué cette information sur sa page Facebook, avant de m’en informer.

Il ne faut surtout pas subir sur le terrain, au contraire il faut être proactif et jouer intelligemment

Julien Mette

Apparemment, pour votre succession, des frais de dossier seront à régler si quelqu’un souhaite postuler à la sélection djiboutienne.

Je sais que Le Togo a fait la même démarche dans son appel de candidature à la tête de la sélection récemment. Je ne comprends pas cette démarche. Je me sens encore impliqué dans cette sélection car j’y ai passé quasiment trois ans, j’ai vécu à Djibouti tous les jours durant ma mission. J’ai fait partie de la relance de cette sélection (5 victoires, 5 nuls et 10 défaites en 20 matches officiel durant son mandat alors qu’avant celui-ci Djibouti n’avait connu qu’un nul et une victoire en 18 ans, ndlr), j’ai vu le stade plein, des gens pleurer de joie et j’ai reçu beaucoup de messages de remerciements. Cela me provoque de la peine pour les jeunes joueurs, que j’ai accompagnés et qui méritent de vivre de beaux moments grâce au football dans leur pays.

Quelle va être la suite pour vous ?

J’ai reçu beaucoup d’offres d’Afrique et du Moyen-Orient, dès les premiers matches avec Djibouti, en 2019, 2020 et même en 2021. La dernière que j'ai refusée était au mois d'août 2021, deux mois avant mon éviction. Nous sommes en plein milieu de saison donc plus difficile de trouver, mais quand un coach est débarqué, je reçois des appels d’agents. J’ai obtenu certains contacts avec des sélections africaines de très haut niveau, présentes à la CAN. Après cette édition de la Coupe d'Afrique des Nations, il y aura certainement des possibilités.

Quelle est votre philosophie du football ? Quels sont vos principes de jeu ?

Il ne faut surtout pas subir sur le terrain, au contraire il faut être proactif et jouer intelligemment. Quand une équipe joue au football, ce n’est pas uniquement pour défendre, ce n’est pas pour être attentiste. Même si je n’ai pas joué à haut niveau, j’ai toujours aimé être actif et toucher le ballon. Cela se traduit par défendre en avançant, presser le porteur de balle, essayer de récupérer le ballon le plus haut possible lorsque l’on défend. Pour ce qui est de l’attaque, j’aime construire des actions pertinentes, réfléchies, intelligentes avec pour base la technique. Le mouvement des joueurs et le rythme élevé dans le match sont aussi très importants dans ma philosophie du football.

Vous avez rencontré des difficultés avec la sélection de Djibouti en termes de niveau pour certains joueurs ?

Oui énormément, notre grosse difficulté était le domaine aérien, peu de djiboutiens mesurent plus d’un mètre quatre-vingts. Au début, nous prenions beaucoup de buts sur corners. J’ai dû modifier trois fois le dispositif. Moi qui étais adepte du positionnement mixte (associer des joueurs qui défendent en zone et d’autres en individuelles) j’ai finalement trouvé la meilleure solution par du 100% zone. Comme quoi il faut se remettre en question et être capable de maîtriser plusieurs options tactiques. À titre d’exemple, face à l’Algérie, nous ne pouvions pas rivaliser face à Islam Slimani (1,88m) qui a inscrit un quadruplé.

Quel discours a-t-on pour son latéral qui doit défendre face à Riyad Mahrez ?

Nous savons tous ce que Riyad Mahrez va faire dans un match. Il faut mettre le maximum d’éléments en place pour l’en empêcher. Par exemple, il ne fallait pas se trouver en un contre un face à ce joueur, donc réaliser une prise à deux. Il fallait être attentif à son orientation dès sa prise de balle : s’il recevait orienté dos à la ligne de touche alors il fallait que le latéral le serre pour l’empêcher de progresser verticalement et que le deuxième lui ferme l’intérieur en étant orienté à 90°. S’il était orienté face au jeu sur sa prise alors là il fallait l’amener sur son pied-droit et lui fermer l’angle de centre intérieur. On le voit comme uniquement un dribbleur redoutable mais si on oublie son centre dévastateur qui fuit et plonge entre votre ligne arrière et le gardien, on est foutu.

Quel est le joueur adverse qui vous a posé le plus de problèmes tactiquement ?

Youcef Belaïli est imprévisible. Il est à l’aise avec ses deux pieds, trouve des solutions à chaque circonstance, a une certaine puissance. Il a des qualités athlétiques importantes, une technique impressionnante et est partout sur le terrain.

Recueillis par Thomas Gucciardi avec Germain Villeneuve et Ridha Boukercha

Crédit photo Une : DZ FOOT

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