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19 octobre | 17h34

Mathias Coureur : « Jamais aussi bien accueilli dans un club qu’en Inde »

Formé au Havre, Mathias Coureur (33 ans) a par la suite parcouru beaucoup de chemin et de kilomètres pour atterrir en Inde, son huitième pays. Après l’Espagne, la Bulgarie, la Géorgie, le Kazakhstan, la Corée du Sud et la Turquie, le Martiniquais s’est engagé cet été avec le Northeast United FC. Il s'est longuement livré pour Actufoot..

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L'Inde, la huitième course

Peux-tu nous raconter comment s’est réalisé ton transfert en Inde ?

J’avais déjà reçu une offre de ce club après mon aventure en Corée du Sud (Seongnam FC, 2019). A l’époque, je n’avais pas refusé mais j’avais préféré aller en Bulgarie (Cherno More, 2020). Ensuite, même si je suis allé en Turquie (Samsunspor D2, 2021), c’est un club qui était resté dans un coin de ma tête. Avant les play-offs en Turquie, je savais que ça n’allait pas trop avec mon club et qu’ils ne voulaient plus trop de moi. L’agent indien m’a rappelé, je lui ai dit que s’il faisait les choses rapidement et qu’on arrivait à trouver un accord, j’irais en Inde.

Tu t’y plais pour le moment ?

Franchement, ça se passe super bien ici. Pour être honnête je n’ai jamais été aussi bien accueilli dans un club qu’en Inde. Je suis arrivé le 1er octobre et j'ai dû faire 8 jours de quarantaine enfermé dans ma chambre. A partir du 10, j'ai commencé à m'entrainer donc je peux maintenant sortir de l'hôtel mais uniquement pour les entraînements. C’est une règle fixée par l’Indian Super League. C'est important pour moi de connaître la culture des Indiens et malgré les restrictions sanitaires j’en apprends tous les jours. Au niveau de la communication, tout le monde parle anglais dans mon équipe, et les joueurs ont tous un dialecte hindi différent. Je vois aussi beaucoup de religions différentes qui cohabitent ensemble, donc j’aime bien.

Avant de signer, étais-tu au courant de cette règle qui te contraint de rester dans ta chambre d’hôtel ?

Je le savais mais ce n’était pas encore sûr. Je me suis dit : « Peut-être ça va changer », mais finalement c’est resté. Le truc qui me fait « un peu chier » c'est qu’on va jouer à huis clos alors que normalement, ici, les stades sont toujours blindés. Je suis aussi venu en Inde pour découvrir une culture. Je suis toujours entouré d’Indiens, je ne me sens pas chez moi et en fait, c'est ça qui m'intéressait aussi. Si j’avais davantage pu rencontrer la population présente autour de moi ça aurait été mieux mais bon, ce n’est pas grave.

Tu disais que c'est le club dans lequel tu as été le mieux accueilli. As-tu une anecdote à nous raconter par rapport à cela ?

L'anecdote que je peux te dire c'est qu'il m'appelle tous « Matai ». Ils n’arrivent pas à dire Mathias donc ils m'appellent comme ça (rires). Apparemment c’était un joueur très important d’un club de Kerala (État en Inde). Mais au-delà de ça, le truc c’est qu’ils sont très amicaux. Par exemple j’ai fait une partie de billard avec un mec que je ne connais pas, dans le bus il y a toujours 3-4 coéquipiers qui m'ont dit « mets-toi à côté de moi » et qui m'ont fait une place. Quand ils sont entre eux, qu’ils parlent leur langue et que j’arrive, ils passent tous en anglais pour ne pas me mettre à l’écart et bien m’intégrer alors que parfois je passe simplement dire bonjour. C’est plein de petites choses comme ça.

Avant d’arriver sur place, connaissais-tu des joueurs dans ton nouveau club ou en Inde ?

Oui je connaissais un seul joueur du club. Khassa Camara, c’est un international mauritanien. Il m'a beaucoup parlé avant que je prenne ma décision. Puis on s'est vu sur Paris, on a même fait des « five » ensemble. Il m’a tellement bien parlé du club, même si j'étais déjà un peu décidé, qu’il m’a encore plus convaincu sur le fait que ça serait une bonne aventure à vivre.

J'étais choqué parce que mon club possède 200 000 abonnés sur Instagram

Malgré toutes les restrictions sanitaires, ressens-tu chez les Indiens de la ferveur pour le football ?

Déjà, les Indiens sont beaucoup, c'est ce qu'il faut savoir (1.4 milliard d’habitants). Mais pour la ferveur, c’est oui ! Déjà, j'étais choqué de voir mon club a 200 000 abonnés sur Instagram, et j'ai reçu énormément de messages de supporters. Beaucoup de messages mais pas beaucoup d'ajouts donc je pense vraiment qu’ils se disent : « Joue d'abord mon gars et après on voit » (rires). Les messages, ça n’arrête pas, c’est tous les jours. C'est un truc de fou. A la télé, ils montrent du foot mais ils diffusent surtout beaucoup de cricket. Je ne dirais pas que c’est un pays de foot pour le moment mais c’est un pays qui tend à le devenir.

Dans ta nouvelle ville, comment se déroulent tes journées en dehors du foot ?

Aujourd’hui (interview réalisée le 15 octobre), on avait une journée de libre et mes coéquipiers sont allés jouer au cricket. Ils m’ont proposé de jouer avec eux mais j’ai préféré aller chez le kiné (rires). Mais plus sérieusement le 19 septembre dernier c’était mon anniversaire de mariage et ma femme, qui me connaît bien, m’a acheté des livres que j'aime beaucoup lire. Ensuite il y a Netflix et internet mais ce qui est bien dans ce moment-là, c'est que tu fais plus attention à ton corps. J’en profite pour faire beaucoup de prévention par exemple et je travaille un peu plus aussi sur les à côtés du foot.

On sait que tu es un grand amateur de cuisine. N'es-tu pas frustré de ne pas pouvoir manger les plats indiens directement dans de bons restaurants ?

Oui forcément. Après, moi, j'aime trop la cuisine indienne et avec ma femme, on a fait beaucoup de restaurants indiens par le passé donc on va dire que j'avais déjà un petit avant-goût. Mais c’est sûr que j'aurais préféré goûter ces choses-là aussi sur place. Mais pour te raconter une petite anecdote, le premier soir où j'arrive en Inde je me fais livrer à manger. Eux ne savent pas que pour moi, manger épicé c'est dur. Puis j'avais vraiment faim donc épicé ou pas j’ai tout mangé. Et bah au final ma première soirée en Inde c'était toute la nuit aux toilettes (rires).

Tu as eu d’autres propositions cet été ?

Oui j’ai eu des offres d’Azerbaïdjan, d’Amérique du Sud, de Roumanie, de Bulgarie aussi. Mais dans ma tête c’était soit l’Amérique du Sud, soit l’Afrique, soit l’Asie, parce que je voulais voir autre chose. Même si j’ai déjà connu l’Asie, l’Inde c’est une partie que je n’avais pas faite.

La Turquie, une étape plus difficile

Avant l’Inde, tu étais à Samsunspor en Turquie. Aujourd’hui comment juges-tu cette expérience ?

C'était mal parti dès le début. A vrai dire, le club ne me voulait pas vraiment. Il n’y a que le coach qui me voulait. Après j'ai quand même voulu y aller parce qu'il y avait une montée à jouer et que c'est quelque chose que j’avais envie de vivre. Mais quand je suis arrivé, on m’a mis des bâtons dans les roues. Mais bon ce n’est pas grave tu vois ça reste mon choix et même si ça ne s’est pas bien passé, moi, j'ai bien aimé.

Comment s’est terminée ton aventure là-bas ?

Ça s’est un peu mal fini. Je n'étais pas payé, et le président m’a menacé pour que je parte. En plus moi je m'étais promis de ne jamais jouer en Turquie parce que je savais que tout ça pouvait arriver. Après, en parlant avec tout le monde, on m'avait dit que c'est un club où ça ne se passait pas comme ça.

Sportivement, c’était comment la Turquie ?

Justement je retiendrais que le positif et c’est le sportif. Franchement les Turcs j’ai bien aimé parce que ce sont vraiment des amoureux du foot. On avait des supporters de dingue, dans un stade de dingue avec des installations de dingue ! Tout était fait pour avoir un bon club mais c’est dommage qu’au niveau de la direction ce n’était pas ça. Je crois que sur 25 joueurs il y en a 20 qui sont partis alors qu'on termine troisième égalité avec le premier et le deuxième mais le président n'était pas content donc il vire tout le monde. Dommage que ce que certaines personnes qui ont de l’argent se prennent pour Dieu.

Tu as apprécié le niveau à Samsun ?

Franchement, c’était un très bon niveau et la Turquie reste un vrai pays de football. C'est l’un des meilleurs niveaux que j'ai connus dans ma carrière. Il y avait d'excellents joueurs à Samsun comme Brice Dja Djédjé qui était à Marseille, Yasin Oztekin qui a été champion avec Galatasaray, Kévin Boli qui a été lui champion en Roumanie (avec le CFR Cluj), et Jugurtha Hamroun qui a notamment joué avec Xavi au Qatar. Donc oui on avait beaucoup de joueurs qui avaient accompli de grandes choses.

Mathias Coureur, l’histoire de ce marathonien

Pour prendre un peu plus de recul sur ta carrière, comment fais-tu pour choisir tes destinations à chaque fois ?

En fait ça dépend vraiment de la période de ma vie. Parfois ça peut-être pour le football, parfois parce que c’est un pays que j'avais absolument envie de découvrir, parfois c’est l’argent. Moi j'ai vite compris que je n’allais pas avoir une carrière définie.

Par moment, tu assumes pleinement de faire passer le football au second plan ?

Encore une fois ça dépend de la situation. Aujourd'hui je suis marié, et je suis en fin de carrière. Si j’ai fait le choix de l’Inde c’est aussi parce que je sais que j’ai 6 mois de compétition et que si je prolonge j'aurai 6 mois de vacances, et en 6 mois de vacances je pourrai vraiment commencer à mettre en place mon « après foot ». Mais oui effectivement le foot c'est déjà passé au second plan.

Tu déclarais que tu avais comme rêve de jouer en Colombie ou au Maroc. Est-ce tu penses encore avoir le temps d’accomplir ces souhaits avant la fin de ta carrière ?

Je pense que ça va être dur. J’ai failli signer en Amérique du Sud cet été mais ce n’était pas Colombie. J’aurais bien aimé aller là-bas. Pour le Maroc, je pense que c'est mort. J'avais eu une offre d’Algérie aussi que j'avais acceptée d'ailleurs mais le problème c'est qu'il fallait 10 sélections internationales que je n’avais pas. Pour l'instant, je suis en Inde et mon but c'est de tout casser ici.

Moi j'étais dans le onze de légende de 5 ou 6 clubs

Quand on se rappelle que tu voulais quasiment arrêter le football après ton expérience en Espagne et ton retour en Martinique (en 2013), penses-tu que tous ces choix de jouer loin de chez toi, dans des pays lointains et peu médiatisés en Europe, ont sauvé ta carrière de footballeur ?

Si on m’avait dit il y a quelques années que ma carrière allait être celle-là, c’est sûr que je n’en aurais pas voulu. Mais au final tu regardes et tu vois que j'ai vécu beaucoup de choses que peu de joueurs ont vécu. Encore aujourd'hui, il y a un supporteur bulgare par exemple qui était à Nantes. Il est passé à la Beaujoire avec mon maillot de Varna et il a écrit : « Merci de l'avoir laissé partir parce qu'il nous a fait rêver ». Ce sont des choses qui me touchent beaucoup. Si j’avais été en Ligue 1, peut-être que j’aurais été un joueur quelconque, parmi tant d’autres. Pendant le confinement les clubs publiaient souvent leur meilleur onze de ces 20 dernières années ou le onze historique. Moi, j'étais dans le onze de légende de 5 ou 6 clubs. Ça me touche vraiment ces choses-là.

As-tu le sentiment d’avoir réussi ta carrière ?

Je trouve que j'ai plutôt bien réussi partout où je suis passé. Bien sûr que j'ai eu des échecs et des moments plus compliqués mais la plupart du temps ça s'est bien passé. En prenant du recul, oui je suis content. Mais je pense honnêtement que j'aurais pu faire mieux au niveau du football. Tout s'est joué sur la première partie de ma carrière. Mon seul regret c'est de pas avoir eu ma chance, ou de ne pas avoir réussi à faire en sorte d'avoir ma chance à Nantes.

Après tout ça, qu'est-ce qu'on peut encore souhaiter à Mathias Coureur ?

Après tout ça pas grand-chose (il sourit) … non déjà que cette année tout se passe bien en Inde et que je puisse encore jouer au foot très longtemps.

Propos recueillis par Ahmet Rayman

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