11 janvier | 18h35
Premier buteur de la CAN, Gustavo Sangaré a d'abord illuminé le monde amateur
Auteur du premier but de la CAN 2022 avec le Burkina Faso lors du match d'ouverture face au Cameroun (2-1), Gustavo Sangaré (25 ans) se révèle sur le tard aux yeux du grand public. Désormais à QRM (L2) où il s'est imposé comme l'un des piliers du club normand, le milieu défensif pourrait être l'une des prochaines attractions du mercato estival.
Nous n'y étions pas mais nous pouvons tenter d'imaginer l'immense fierté du Salitas FC, l'académie qui a révélé Gustavo Sangaré, dimanche après-midi à la 23e minute du match d'ouverture de la Coupe d'Afrique des Nations face au pays hôte, le Cameroun. A la retombée d'un centre au deuxième poteau de son capitaine, l'ex-Lyonnais Bertrand Traoré, le milieu défensif reprend spectaculairement le ballon de volée pour s'offrir le premier but de la compétition. « C’est un grand honneur et une grande fierté pour moi d’avoir pu marquer le premier but de la CAN pour mon pays. Un peu déçu de l’issue du match (défaite 2-1) mais on ne se décourage pas", témoigne le joueur de Quevilly-Rouen Métropole (L2) à l'issue de la rencontre face aux Lions Indomptables. Nous donnerons toujours le meilleur de nous pour faire la fierté du pays.» lance-t-il encore.
Le but de Gustavo Sangaré pour la #TeamBurkinaFaso ! #CAN2021
— Instant Foot ⚽️ (@lnstantFoot) January 9, 2022
Superbe action ✅
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Les Burkinabés peuvent croire sur parole leur soldat dont les galères ont été nombreuses après son départ du continent africain pour l'Europe, où des essais en Belgique, Italie et même en Suède à Malmö, la ville de Zlatan Ibrahimovic, s'avèrent infructueux pour des raisons que nous préférons préserver. En situation d'échec, le natif de Bobo-Dioulasso est à deux doigts de retourner au pays. "Il a eu la chance d'avoir un oncle basé dans le sud vers Montpellier pour l'accueillir", souligne Ali Boughardayan, qui le suit depuis plus de deux ans pour le compte de l'agence allemande Rogon, spécialisée dans l'accompagnement de joueurs professionnels. Cette dernière gère notamment les intérêts de Roberto Firimino, Marcel Sabitzer ou du Parisien Thilo Kehrer. "Il a toujours été étiqueté comme un talent de son académie", poursuit ce dernier, assurant que l'Académie de Salitas, qui s'est notamment rapprochée du LOSC (Joffrey Bazié, 18 ans, a signé en octobre), va beaucoup faire parler d'elle dans quelques années. Et de prendre pour exemple : "Gustavo était même davantage "starifié" qu'Edmond Tapsoba", la nouvelle pépite burkinabaise également issue de Salitas. Recruté par le Bayer Leverkusen contre 18 millions d'euros, le défenseur de 22 ans en vaut le double voire le triple désormais.
Il n'avait rien à faire chez nous. Tous les entraîneurs qu'on affrontait me disaient : "Mais Aurélien, c'est qui ce phénomène ?"
Prédestiné à la lumière, Sangaré a les qualités mais tarde seulement à trouver le bon interrupteur. Lors de son installation dans l'Hérault en 2017, il prend une licence à Frontignan (R1) non loin de là où il réside. Il ne le sait pas encore, mais il est enfin tombé dans un environnement chaleureux et propice à son épanouissement. "Il est arrivé d'Agde de la plage en courant comme on dit chez nous", s'amuse encore Aurélien Cathala, l'ex-entraîneur de l'équipe première qui l'a récupéré un peu par miracle. "Il devait s'entretenir au FC Sète (alors en N2), mais personne n'est venu le chercher au rendez-vous. Moi, je préparais mon entraînement un matin et je le vois arriver avec son oncle. Il nous a raconté son histoire et on est tombés d'affection pour ce gamin d'une gentillesse énorme, tout plein de sourires et qui avait un vécu. On l'a pris sous notre aile."
Au bord du rectangle vert, le technicien à l'accent bien prononcé au bout du fil réalise aussi qu'il vient de mettre la main sur un joyau d'une extrême rareté dans le milieu au sein duquel il exerce sa passion. "Il n'avait rien à faire chez nous. Tous les entraîneurs qu'on affrontait me disaient : "Mais Aurélien, c'est qui ce phénomène ?" Il cassait des lignes balle au pied, par la passe. Son volume de courses était impressionnant, il courait facilement 15km par match. Un jour, je le mets en 6 contre Montélimar en amical et je dis au président de venir voir. Avant la fin, il me dit : "On le signe ! Le lendemain, on a réussi à lui faire une licence avec un VISA de vacances que la Ligue nous avait validé. On avait eu un peu de chance que ça passe."
Gustavo Sangaré sous les couleurs de Frontignan en Régional 1 (Photo : Maurice Ferlut).
Les joueurs de mon équipe le ramenaient souvent de l'entraînement. L'hiver, il était en short et un joueur qui travaillait dans une firme de sport l'a complètement habillé
Il paraît que la vie est faite de rencontres et Gustavo Sangaré se retrouve choyé dans un contexte sain. Le club l'adopte, l'entraîneur et les joueurs aussi. "Souvent, ils l'amenaient et le ramenaient de l'entraînement", se rappelle celui qui coache désormais les U20 élite de Frontignan. "L'hiver, il était en short et l'un des joueurs, Romain Dubois, qui travaillait dans une firme de sport, l'a complètement habillé." Sur et en dehors du terrain, Gustavo fait l'unanimité, ce qui fait dire à son ex-mentor : "Pour lui, trois entraînements par semaine, c'était pas assez. Il était prédisposé à faire carrière. Et il faut voir la générosité qu'il a. C'est la même sur et en dehors du terrain."
Repéré et recruté fin janvier 2018 par Quevilly-Rouen Métropole alors piloté par Emmanuel Da Costa, le Burkinabé n'est pas encore totalement en règle pour rester sur le territoire français. Mais il peut encore une fois compter sur le soutien de gens prêts à l'aider sur le plan administratif. "C'était pas mal de stress par rapport à ça et QRM", évoque Ali Boughardayan qui fait connaissance avec son protégé lorsque ce dernier est en pleine transition vers l'équipe première. Car à ses débuts en Normandie, Sangaré n'a pas de contrat lui permettant de vivre confortablement du football. Mais son potentiel au-dessus de la moyenne largement décelé dans le monde amateur ainsi que son travail acharné lui permettent de grappiller de façon naturelle de plus en plus de temps de jeu en "une" et donc de signer un premier vrai engagement. Après 5 matches de N1 en 2018/2019, il en dispute 11 lors de l'exercice 2019/2020 écourté en raison de l'épidémie et enfin 31 la saison dernière. Celle de la vraie révélation.
Une ascension progressive à QRM et un départ prévu pour l'été 2022
Considéré comme l'un des artisans importants de la montée en Ligue 2 sous les ordres de Bruno Irles, un technicien dont il est très proche, et auréolé d'une première cape internationale le 12 juin face au Maroc, il est prolongé début juillet jusqu'en 2023 et découvre la Ligue 2 avec un statut de cadre. "L'idée était de le revaloriser et d'envisager pour QRM, qui n'en a pas fait beaucoup dans son histoire, un transfert à l'été 2022", explique son représentant. En faisant quelques recherches rapides, on réalise qu'il a raison. Excepté l'entente financière trouvée avec l'ESTAC (600 000 euros ?) pour libérer Irles, on ne retrouve pas trace d'une vente ayant rapporté quelques gros deniers dans les caisses normandes.
Valorisé à 800 000 euros par le site spécialisé Transfermarkt, Gustavo Sangaré pourrait devenir le premier joueur du club normand à être transféré au-delà du million. Mais ça, ce garçon décrit comme "très discret et très poli" par Benjamin Caruso, le responsable communication de Frontignan, n'en a certainement que faire. Il va poursuivre sa progression et rester fidèle à ses valeurs et à ceux qui lui auront donné un coup de pouce, footballistique mais surtout humain. "Quand on l'a vu chez nous, on savait très bien qu'il n'allait pas rester longtemps. Mais on s'appelle et on s'envoie des messages régulièrement", confie Aurélien Cathala dont l'émotion dans la voix est palpable. Je peux vous dire qu'il est très fier d'avoir marqué ce but. Pour un Africain, c'est exceptionnel de disputer la CAN alors marquer le premier but de la compétition... Je pense que tout son village et sa maman doivent être très fiers." Avant de raccrocher, notre interlocuteur tient à nous lire le dernier message qu'il a envoyé à son poulain : "On est tous très fier de toi ici. A chacune de tes apparitions, c'est une fierté en plus." Et de conclure, bluffé par sa trajectoire : "C'est un mec qui a tout lâché dans son pays, qui a tout fait pour sortir de la famine. Croyez-moi, il faut en avoir dans le pantalon pour faire ce qu'il a fait." Dans le pantalon et aussi beaucoup dans les pieds.
Thomas Gucciardi
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