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28 juillet | 12h57

Bilal Benkhedim : "Je vois mon départ de Saint-Etienne comme un tremplin"

En fin de contrat à Saint-Etienne, Bilal Benkhedim (21 ans), qui a signé son contrat pro à 16 ans, va poursuivre sa carrière loin du Forez. Grand espoir du centre de formation, le milieu de terrain revient sur les raisons de son départ, ses souvenirs en jeunes, et ses premiers pas chez les pros, qu'il côtoie déjà depuis trois saisons. Entretien.

ASSE ASSE N3 ASSE L2

Comment s'est déroulée ta dernière saison avec Saint-Etienne ?

C'était une saison assez particulière. En début de saison, le club m'a proposé de prolonger mon contrat d'un an, pour ensuite envisager un prêt dans la foulée. Finalement, ça ne s'est pas fait, et quand tu ne prolonges pas, le club n'est pas très content… Arrivant en fin de contrat, je n'étais plus dans les plans.

As-tu refusé l'offre de prolongation ?

Nous ne nous sommes pas entendus. Je n'ai pas fait la grosse tête en disant que je veux ci ou que je veux ça. Mais sur certains détails, les négociations bloquaient et ça ne s'est pas fait.

Par la suite, tu t'entraînes donc toute la semaine avec les pros, mais tu joues avec la réserve en N3...

Voilà, c'est ça. Ils m'ont fait comprendre que lorsque tu es un joueur sur sa dernière année de contrat, et que ne t'es pas entendu avec le club pour une prolongation, tu ne jouerais pas avec les pros les week-ends.

Étais-tu satisfait par tes performances en National 3 ?

Oui j'étais content de moi, mais j'estimais que ce n'était pas ma place. Quand à 16 ans et demi tu signes ton contrat professionnel, que tu intègres un groupe pro à 17 ans, que tu fais des apparitions en L1, que tu marques en Coupe de la Ligue, et que tu fais des titularisations en Ligue 1 à 18 et 19 ans, et que tu joues en N3 à 20 et 21 ans, c'est sûr que tu n'es pas content. Je sais que j'ai les qualités pour chercher plus haut.

Tu prenais quand même du plaisir en évoluant avec la réserve ?

Oui ! J'ai toujours pris du plaisir que ce soit en N3 ou à l'entraînement. Avant tout, j'aime le foot ! Je vais te dire la vérité, il ne m'en faut pas beaucoup pour que je trouve le moyen de me procurer du plaisir avec le football. Il suffit que je tape la balle avec des amis où que je fasse un tennis-ballon et je suis au top. Mais quoi qu'il arrive, j'ai toujours essayé de garder le sourire et de prendre un maximum de plaisir sur le terrain.

Malgré tout, durant cette période, as-tu eu des moments de doute, où tu pouvais être effrayé par l'avenir ?

Franchement, non. Je n'ai jamais eu la peur de l'inconnu. Dans ce milieu, il faut avoir beaucoup de confiance en soi, et je pense que c'est grâce à cela que j'ai pu garder le cap et continuer de travailler malgré ma mise à l'écart. Donc je n'ai pas eu énormément de moments de doute. De temps en temps, tu penses et réfléchis à ton futur. Mais il ne faut pas se laisser submerger par les doutes sinon tu n'es plus le même.

Quand tu sais pertinemment que tu seras sans club en fin de saison, et que tu joues en réserve, comment fais-tu pour rester focalisé sur le football ?

C'est un travail sur soi-même. Cela fait partie des épreuves de la vie et celle d'un footballeur n'est jamais toute rose. Dans ce genre de situation, il ne faut pas baisser les bras et se donner les moyens de rebondir. Au lieu de m'entraîner une fois, je m'entraînais deux à trois fois par jour. Si tu ne te réfugies pas dans le travail, tu ne tiens pas et c'est là que tu peux très rapidement t'écarter du football. Depuis que je suis en centre de formation, j'ai toujours été un joueur travailleur, mais ma dernière saison à l'ASSE m'a permis de me développer humainement et sportivement. J'ai beaucoup gagné en maturité et je ne suis plus le même garçon qu'avant. Au final, je peux dire que c'est un mal pour un bien. Je me fixe encore des objectifs et je me dis surtout que le football ne s'arrête pas là. Il y a toujours une suite et j'aurais toujours des opportunités pour rebondir ailleurs.

Avec le recul, à quel moment précis ressens-tu une réelle cassure entre toi et Saint-Etienne ?

C'était il y a presque deux ans maintenant. Et c'est pour cela que nous ne nous sommes pas entendus par la suite pour la prolongation. Mais je ne préfère pas rentrer dans les détails. Tout ce que je peux dire, c'est que tout bascule dans le club. Maintenant, c'est du passé. Mais en ce qui me concerne, je n'ai pas eu de mauvais comportement ou d'accrochage avec le club. Je me suis réfugié dans le travail. C'est blessant mais c'est comme ça. Je n'en veux pas au club de Saint-Etienne. J'ai toujours été là pour ce club et ils m'ont toujours apprécié.

Tu n'as rien à te reprocher alors…

Exactement. Mon parcours est assez surprenant. Je suis un jeune de 18 ans qui arrive dans le grand bain. Comme tout jeune qui débute en pro, tu es censé être accompagné par ton coach avec un petit peu de temps de jeu et de confiance, comme tous mes amis de Saint-Etienne. Mais moi, je n'ai pas eu cette chance-là. Et c'est parce que je n'ai rien à me reprocher qu’au fond j'ai accepté mon sort. Je me disais : "Écoute Bilal, ce n'est pas de ta faute. Tu as tout bien fait. Quand tu marques 30 buts en jeune en étant milieu de terrain, qu'est ce que tu veux faire de plus ? Tu travailles beaucoup, tu es passionné… Mais on te dit non".

Sentais-tu du favoritisme de la part du coach ?

Non pas de favoritisme, mais je me suis rendu compte que j'étais seul sur la touche. Et je me suis posé des questions. Je me suis demandé pourquoi ? Et personne ne comprenait, même dans le club…

Quelles leçons tires-tu de cet épisode pour la suite de ta carrière ?

Cela m'a beaucoup fait grandir. Je suis devenu quelqu'un d'autre. Que ce soit dans le foot ou dans la vie. Ça fait réfléchir, mais ça montre aussi qu'il ne faut pas lâcher.

Dans quelle division espères-tu évoluer la saison prochaine ?

Le plus haut possible. Je n'en demande pas beaucoup. Un bon projet, que ce soit en Ligue 2 ou en Ligue 1, me plairait. J'ai confiance en moi, et je sais que je peux apporter de bonnes choses à une équipe. Après, ce sont des événements que l'on ne contrôle pas vraiment. En tout cas, de mon côté, je me tiens prêt, et je m'entraîne tous les jours pour ça.

Quels sont tes points forts sur le terrain ?

Je dirais ma qualité technique, ma vision de jeu, ma vitesse sur les 30 premiers mètres et mon volume de jeu. Je fais beaucoup de kilomètres quand je joue et c'est important à mon poste.

Selon toi, qu'est-ce que tu pourrais encore améliorer dans ton jeu ?

Je ne peux pas tellement me juger sur ce point. Comme je le disais, j'ai beaucoup pris en maturité dans mon jeu cette saison. J'aimerais bien évoluer en jouant à mon niveau. Mais je sais qu'on peut toujours s'améliorer. Et cela dans tous les compartiments de notre jeu. J'aimerais progresser dans la globalité de mon football parce que c'est comme cela que franchirai des caps. Mais je ne peux pas me juger sur des matches de N3. Quand tu sors de la Ligue 1 et que tu joues en National 3, c'est plus facile. Il n'y a pas les mêmes difficultés.

En passant chez les pros et en côtoyant des adultes, j'ai compris que le football ne se jouait pas de la même façon

Quand tu évoluais chez les jeunes, on pouvait avoir l'impression que tu surjouais. En gagnant en maturité, penses-tu avoir gommé cela ?

Ah oui totalement ! J'ai complètement changé. Mais quand tu as des facilités en jeunes, et que le coach le sait et te demande justement de prendre le jeu à ton compte, j'ai envie de dire que c'est naturel de surjouer. En passant chez les pros et en côtoyant des adultes, j'ai compris que le football ne se jouait pas de la même façon. Honnêtement, je n'ai plus rien à voir avec ce joueur-là que tu as pu connaître chez les jeunes. Tout cela a été effacé et travaillé.

À quel moment tu prends véritablement conscience qu'il faut "changer ton jeu" ?

C'est surtout quand je commençais à jouer des matches avec les pros. À l'entraînement, c'est complètement différent. Tu ne te rends pas forcément compte de tout cela parce que ce ne sont pas des matches. Mais quand tu fais des rencontres avec eux, tu comprends vraiment qu'il faut chercher à se perfectionner. Mais un jeune de 17 ans n'aura pas le même jeu cinq ans plus tard. Maintenant, j'ai 21 ans, c'est jeune, mais je ne suis plus le même. À l'époque, j'avais encore ma fougue de jeunesse.

Dans le vestiaire de Saint-Etienne, il y avait des cadres d'expérience. As-tu reçu des conseils de leur part ?

Oui énormément. J'ai toujours eu de bons conseils. Quand je suis monté dans le groupe pro, il y avait Loïc Perrin qui parlait beaucoup avec les jeunes. Pendant mon premier match en pro il y a Mathieu Debuchy qui est venu me voir pour me rassurer et m'aider. Et j'ai eu beaucoup de conseils de Ryad Boudebouz. Il joue au même poste que moi et avec la belle carrière qu'il a, j'écoutais avec attention tout ce qu'il pouvait me dire.

Quel souvenir gardes-tu de votre sacre en Gambardella en 2019 ?

Toute la compétition a été magnifique. C'était vraiment une expérience de copains. Je pense que c'est pour ça aussi que nous avons gagné. Tout le monde s'entendait bien, sur et en dehors des terrains. J'en garde encore un merveilleux souvenir.

De l'extérieur, on avait le sentiment que vous étiez intouchables. Ressentiez-vous la même chose sur le terrain ?

Non, nous n'avions pas la grosse tête, bien au contraire. On prenait tous nos adversaires très au sérieux. Mais on ne se stressait pas. On prenait les matches comme ils venaient en donnant toujours le meilleur de nous-mêmes.

Lors de la finale au Stade de France, tu marques le premier but. Par quelles émotions passes-tu au moment de célébrer ?

Je vais te raconter une petite anecdote à ce sujet. La veille de la finale, on visite le stade et quand je suis sur le terrain, j'appelle ma famille en visio. Je leur dis : "Demain, je vais marquer et je vais venir glisser sur les genoux de ce côté. Vous serez juste en haut". Et c'est exactement ce qu'il s'est passé (rires).

Durant toute ton enfance au centre de formation, tu as joué avec l'étiquette du "prodige", du "phénomène". Comment vivais-tu avec cela ?

Pour tout te dire, je ne calculais pas cette étiquette là. C'est vrai qu'énormément de personnes venaient voir jouer notre équipe parce que nous avions de très bons joueurs. Quand tu es mis en avant, tu as beaucoup plus d'attentes autour de toi que tes coéquipiers. C'est quelque chose qui peut être très bénéfique, mais aussi très néfaste si le club n'en fait pas profit. Pour ma part, ça se passait bien. J'arrive chez les pros, je fais deux matches et je marque un but. Honnêtement, j'estime ne pas avoir déçu. Mais ce que je retiens de Saint-Etienne, c'est que je n'ai pas eu ma chance. Il n'y a pas d'autres mots pour résumer mon passage à l'ASSE. L'étiquette de grand espoir, je l'ai bien vécu, très bien même.

Cela ne t'a jamais porté préjudice ?

Franchement, non. Au vu de mes matches et de mes stats, tout se passait bien. Le club était content aussi sinon je n'aurais jamais été surclassé. Donc tout le monde était content.

Qu'est-ce qu'il te manque le plus dans le football ?

Ce que je désire le plus, c'est de pouvoir montrer de quoi je suis capable. C'est dommage de ne pas avoir eu cette chance là à Saint-Etienne, mais j'ai vraiment envie de montrer ce que je vaux. Tout simplement. J'ai pu le montrer quand même avec le peu d'occasions qui s'offraient à moi, mais j'ai envie de le montrer comme il le faut. Sachant que j'ai pris de l'expérience et comme je le disais, de la maturité, je sais que je suis prêt. Ce qu'il me manque le plus c'est de m'exprimer sur le terrain. Il n'y a rien de mieux que cela.

Une expérience à l'étranger à ce moment là de ta carrière est-elle envisageable ?

Je ne me mets pas de frein. Je laisse toutes les portes ouvertes. Si c'est à l'étranger que je dois poursuivre ma carrière, ça ne me fait pas peur. En tout cas, en France ou à l'étranger, je vois mon départ de Saint-Etienne comme un tremplin.

Si tu as un conseil à donner aux jeunes joueurs qui vivent la même chose que toi, qu'est-ce que tu pourrais leur dire ?

Il faut se réfugier dans le travail. Il faut faire de tout cela une force. Et quoi qu'il arrive, les grands joueurs pourront le dire, moi je ne suis encore personne, mais le travail paie toujours. Quand on pense à N'Golo Kanté, Ryad Mahrez, Edouard Mendy, ce sont des joueurs qui à 22 ou 23 ans sont encore en amateurs. C'est pour cela qu'il ne faut jamais lâcher. Quand tu te retrouves tout seul, tu réfléchis beaucoup. Si tu doutes en allant à l'entraînement, tu seras nul. Mais si tu as confiance en toi et que tu te dis que tu es fort et bon, alors ça va le faire. Tu seras un autre homme. Ce n'est pas de l'arrogance parce que tu gardes cela pour toi. Je ne dirai jamais à personne que je suis un “phénomène” parce que là ça devient de l'orgueil. Mais si tu te fais ces compliments là à toi-même, ça aide. Parce que quand tu es écarté, tu as besoin de toi. Le football oubli tout. Suffit de te blesser un mois et plus personne ne parle de toi. Il faut toujours garder confiance en soi, sans exagérer.

Propos recueillis par Ahmet Rayman

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