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Interviews

17 mars | 7h54

J-L Cassini : "Maintenant, les clubs font des coups de poker sur des joueurs"

Seconde partie de notre entretien avec Jean-Luc Cassini. Après s'être confié sur ses aspirations pour la suite de sa carrière, l'ancien directeur du centre de formation de l'OM (57 ans) s'est confié sans langue de bois sur le travail effectué durant son parcours olympien. Mais pas que.

OM Jean-Luc Cassini

En 2012 puis 2013, les U19 Nationaux de l'OM se distinguent lors des NextGen Series avec vous à leur tête. Qu'est-ce qui vous revient près de dix ans plus tard ?

A l'époque, je travaillais en symbiose avec Franck Passi qui coachait la CFA. On a eu la chance durant ces deux saisons de vivre une Youth League un petit peu prématurée puisqu'elle s'appelait encore NextGen, comme vous le dites. On a pu battre des équipes comme Arsenal, le Barcelone d'Oscar Garcia, le Manchester City de Patrick Vieira et atteindre une fois les quarts puis faire une demi-finale contre l'Inter. Quoi qu'on dise de la formation marseillaise, on avait montré qu'on était capables de rivaliser.

En 2016, l'OM vous a proposé la direction de sa formation. Pour suivre quelle voie ?

Le club m'a fait une proposition pour restructurer la pré-formation de l'école de foot jusqu'aux 15 ans. Un gros chantier ! De 450 ou 500 jeunes, on est tombés à pratiquement 150, 180 joueurs. Ca a été un choc pour le club car dans son idéal, l'OM se voulait accessible à tout le monde. Malheureusement, en tant que club professionnel, il fallait resserrer les effectifs. Avec Andoni, il y a eu un gros travail de l'ombre que l'on ne voit pas de l'extérieur si on se base uniquement sur les résultats.

Comme quoi, par exemple ?

On a créé des partenariats avec les collèges pour avoir des classes élite, des internats, on a formé les éducateurs des U6 aux U15. Il fallait qu'ils aient le BEF au minimum. Nous avions également mis en place une méthodologie d'entraînement car auparavant, chaque entraîneur faisait un petit peu comme il voulait. Il y a eu le pilotage du projet des installations de l'OM Campus qui a été fait avec notre aval. On avait commencé à plancher sur le projet OM NextGen avec les clubs régionaux qui sont devenus nos partenaires pour certains. Mais aussi le développement du programme fédéral qui était pour ainsi dire à zéro.

On avait une relation très forte. Andoni, c'est quelqu'un qu'on respecte beaucoup. En fait, il est un petit peu comme moi. On ne fait pas beaucoup d'éclats médiatiques mais c'est un travailleur réfléchi avec une vision sur le long terme

A propos d'Andoni Zubizarreta

Vous travailliez en osmose avec le directeur sportif, Andoni Zubizarreta ?

On avait une relation très forte. Andoni, c'est quelqu'un qu'on respecte beaucoup. En fait, il est un petit peu comme moi. On ne fait pas beaucoup d'éclats médiatiques mais c'est un travailleur réfléchi avec une vision sur le long terme. Il savait très bien le chantier qu'il y avait sur la formation à l'OM mais il m'a laissé le temps de restructurer les choses qu'il s'agisse du sportif ou du scolaire.

Durant votre mandat, l'équipe réserve a subi un coup de jeune.

Il a décidé de ne plus faire appel à des trentenaires mais de présenter une réserve à des jeunes stagiaires ou aspirants qui sortaient de la formation. Une grosse nouveauté. On a eu le bonheur de se maintenir durant trois ans en National 2 avec un groupe très rajeuni et de faire une finale de Gambardella en 2017 avec les U19. L'OM a réussi à battre des clubs comme Lens, Caen, entre guillemets plus forts que lui en termes de formation. Contre Montpellier en finale, on perd aux tirs au but. Plusieurs joueurs ont réussi à faire leur trou par la suite. Des Lucas Perrin, Bouba Kamara sont en Ligue 1, Yusuf Sari est en Turquie, d'autres jouent en Ligue 2. Cela valorise la formation marseillaise.

En termes de recrutement, vous disiez à votre départ que l'OM devait d'abord être le patron sur Marseille, comme Lyon est le boss sur sa région. Avez-vous le sentiment que le club en prend le chemin avec votre successeur, Nasser Larguet ?

Non, ce n'est pas le cas. J'ai vu que l'OM a ouvert une école Diambars au Sénégal, ils prennent pas mal de joueurs sur Paris. Moi, je n'étais pas dans ce trip là. Je connais très bien les Marseillais, si on propose à la plupart que leurs enfants aillent à l'OM ou plutôt vers Monaco ou Saint-Etienne, ils iront là-bas parce qu'ils savent que les petits auront plus de chances de réussir.

La problématique, c'est qu'il n'y a aucune stabilité au club. Pour moi, une formation forte c'est une formation qui ne bouge pas

Un constat plutôt triste pour l'OM, non ?

On est toujours sur du sable mouvant. Le père d'un petit qui avait fini par signer à Monaco a été surpris de ne pas me voir intervenir dans les discussions en fin de saison. Il m'avait dit que si je m'en allais, son fils irait à Monaco et c'est ce qu'il a fait. La problématique, c'est qu'il n'y a aucune stabilité au club. Pour moi, une formation forte, c'est une formation qui ne bouge pas. Bien sûr, il peut y avoir des intervenants ou des coaches qui viennent de l'extérieur mais quand je regarde le centre de formation actuel de l'OM, il y a peut-être un ou deux Marseillais. C'est un micro-système, il faut vraiment connaître. Si un club comme Lyon est si fort aujourd'hui à ce niveau, c'est parce qu'il y a de la stabilité à la tête du club et à la formation. Sur Marseille, on a une durée de vie de trois ans. Dans les clubs qui marchent le mieux, ils restent six, sept voire dix ans.

L'arrivée de Nasser Larguet marquait un tournant.

Jacques Henri-Eyraud, si il avait pu faire venir uniquement des entraîneurs hollandais ou allemands, il l'aurait fait. C'était un peu sa lubie. A un moment donné, il voulait un centre de formation plurinational. Moi, je pense que la formation ne peut pas être perçue de la même manière que l'équipe première. Il faut rester humbles. A l'OM, il y a beaucoup de personnes qui viennent pour une saison ou deux, c'est toujours en mouvement. La stabilité donne confiance aux parents et une connaissance du projet. Quand on parle aux gens, on peut avoir des références.

On n'a peut-être pas autant de qualité globale que l'Olympique Lyonnais mais on a un savoir-faire

L'OM a fait signer plusieurs premiers contrats pros ces dernières saisons. Mais aucun ne semble réellement prêt à taper à la porte de l'équipe pro vu de l'extérieur...

Avec Andoni, la réflexion qu'on avait c'était : "Qu'est-ce qu'on va offrir aux gamins dès qu'ils signent leur premier contrat pro ?" C'est bien beau de les faire signer mais quel va être leur cursus ensuite. Ce qu'on imaginait, c'était qu'ils s'entraînent la première année avec le groupe pro et qu'ils soient prêtés dans un club de National ou de Ligue 2 la saison suivante. Aujourd'hui, on ne sait pas trop ce qui se passe. On croise les gamins, c'est : "Mon agent veut que je parte mais l'OM veut pas" ou "le club veut me prêter et moi j'ai pas envie". Tout est un petit peu confus. La nouvelle direction est très intéressée maintenant par des jeunes étrangers à potentiel comme peut l'être Monaco pour les garder une année ou deux puis les revendre. Je ne sais pas si ce modèle est applicable à Marseille. Ici, on est très souvent dénigrés mais on a quand même sorti des Flamini, Nasri, les frères Ayew. Il y a de bons petits professionnels qui ont réussi. On n'a peut-être pas autant de qualité globale que l'Olympique Lyonnais mais on a un savoir-faire. Le problème, c'est qu'il y a trop d'incertitudes au sein du club. Ca peut exploser à tout moment. Les parents sont conscients de cette problématique.

Quand l'OM peut tirer des bénéfices d'un joueur qu'il a formé depuis l'école de foot (Boubacar Kamara, ndlr), il s'apprête à le perdre gratuitement... Comment remédier à ça ?

C'est un petit peu frustrant mais s'il y a un efforts financiers à faire, c'est sur des joueurs emblématiques comme Kamara qui sont là depuis l'école de foot. Il n'a pas re-signé, va peut-être partir libre après avoir joué trois, quatre saisons avec les pros et ce sera terminé. C'est dommage. Ce sont des garçons qu'il faut garder et il faut mettre le paquet dessus. Je suis persuadé aussi que le gamin aimerait bien rester aussi.

L'OM a du mal à conserver ses meilleurs jeunes formés au club. C'est un fait. Flamini, André Ayew sont partis libres. Samir Nasri a accepté de prolonger avec une clause de départ pour que son club formateur puisse toucher de l'argent. Ce genre de décision ne peut plus se prendre à l'heure actuelle car les enjeux financiers sont trop importants.

On le voit avec le cas Lihadji qu'on a formé et qui est parti à Lille. Les propositions de l'extérieur arrivent de plus en plus tôt et c'est pour ça que certains clubs font signer des contrats pros à partir de 16 ans. En fait, c'est faire purement des coups de poker en se disant qu'un gamin va percer et être revendu deux ans plus tard. Plutôt que de penser à sa carrière de footballeur et de lui dire : "Ecoutes, tu vas faire ton contrat aspirant, puis un stagiaire et une fois que tu auras prouvé, tu signeras un contrat pro". Quand ils signent des contrats professionnels à cet âge-là, ils sont à peine capables de jouer dans leur catégorie voire en U19. Evoluer en N2 à 16 ans, ce n'est pas possible. Ce fonctionnement est regrettable.

Actufoot • OM

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La grosse problématique avec Lihadji, c'est qu'à 16 ans, il était loin d'avoir le niveau qu'il a maintenant

Que s'est-il passé avec Lihadji ?

La grosse problématique avec Lihadji, c'est qu'à 16 ans, il était loin d'avoir le niveau qu'il a maintenant. C'était un très bon joueur mais en U17, il ne faisait pas la différence et en U19, il était très, très moyen. Si je dois comparer avec un Boutobba, ça n'avait rien à voir. Bilal, c'était un des meilleurs buteurs du groupe sud, il jouait régulièrement avec les 19 Nationaux et était titulaire en équipe de France jeunes. Lihadji, c'était encore entre deux. Pour vous dire, je l'avais poussé pour qu'il intègre la sélection U17 et Jean-Claude Guintini, qui est maintenant à l'OM, m'avait dit que le joueur était pas mal mais que ce genre de profil ne manquait pas notamment en région parisienne et qu'il pensait avoir meilleur sous la main. Entre temps, le petit joue avec les U17 et les U19 et il est de mieux en mieux. Je rappelle Jean-Claude et je lui dis que ce que fait Isaac, c'est vraiment bien et qu'il faudrait qu'il le voit une dernière fois. Il le reprend à la Coupe du Monde U17 au Brésil (en 2019) et Lihadji flambe. A partir de ce moment-là, c'était terminé pour l'OM. Avec Andoni, on propose un contrat mais les agents se mettent au milieu. Ils veulent dix, quinze fois plus. Quand on sait le contrat qu'il a Lille, c'était impossible que Marseille s'aligne. D'autant plus quand on connait les conditions dans lesquelles le gamin a grandi et ce qu'ils lui ont proposé. C'est normal qu'il parte.

Y'a t-il un regret de ne pas avoir tenté le "coup de poker" avec lui ?

Quand Flamini ou Nasri signent leur premier contrat pro, ils étaient aux portes de l'équipe une. Maintenant, on fait des coups de poker sur des joueurs et cela aurait été le cas avec Lihadji. On aurait dû le signer car il aurait été protégé contractuellement. Le problème, aussi, c'est la grosse pression mise par les agents. Si vous ne signez pas le petit, ils mettent la pression et partent.

Les Marseillais ont essayé de l'interpeller à l'époque en jouant sur les liens qu'il a avec la ville de Marseille et l'OM.

L'identité, l'amour du maillot, ça n'existe plus tout ça. Quand j'étais à la pré-formation et à l'école de foot, la première fois où j'ai débarqué, tous les petits de Marseille venaient s'entraîner avec le maillot de Chelsea, de Barcelone et certains même du Paris Saint-Germain. J'avais demandé à Vincent Labrune que tous les gamins soient équipés OM des U6 aux U15. C'était affolant. Certains portaient des tenues de l'OM mais d'autres non. A l'époque, c'était impensable même si on était sevré de titres depuis longtemps.

Un problème générationnel ?

Il n'y avait pas tous les réseaux sociaux qu'il y a actuellement. Les gamins de 10 ans qui commencent à taper sur les téléphones, il faut s'y faire. En tant qu'entraîneur et formateur, on est obligé de s'actualiser avec ces nouveaux codes. On ne fonctionne pas de la même façon avec un jeune en centre aujourd'hui comme on pouvait fonctionner il y a quinze ou vingt ans de ça. C'est impossible. J'ai eu la chance de faire l'INF Vichy, c'était marche ou crève. On voyait le docteur une fois dans la semaine, on n'avait pas tout ce que les gamins ont maintenant. Pourtant, il en sortait de sacrés joueurs comme Jean-Pierre Papin ou Didier Tholot. Toutes les nouvelles technologies, les vidéos, c'est évidemment génial, mais est-ce qu'il n'y a pas un effet boomerang ?


Propos recueillis par Thomas Gucciardi

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