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Interviews

22 décembre | 13h42

Bakaye Traoré, du Milan à Vitry

Entre février 2011 et mai 2012, Bakaye Traoré a eu le paludisme, avant de réaliser une performance XXL avec le Mali à la CAN pour son retour, puis de rendre possible son invraisemblable transfert de Nancy à l'AC Milan. Aujourd'hui à Vitry, le club parrainé par son ami Cédric Bakambu, Bakaye sort la boîte à souvenirs.

R1 IDF - Poule B CA Vitry

Salut Bakaye, depuis ta saison 2016/17 à Bursaspor, on avait un peu perdu ta trace… Qu’est-ce que tu devenais ?

Il y a un peu plus d’un an maintenant, j’ai décidé d’arrêter ma carrière professionnelle à cause d’un long litige avec mon dernier club, Bursaspor…

Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Pour faire simple, lors de ma deuxième saison là-bas la direction a changé et les nouveaux dirigeants voulaient faire partir les joueurs étrangers recrutés par leurs prédécesseurs. Ça me concernait, d’autant que j’étais un des plus gros salaires du club. Mais moi, tant que je n’avais pas trouvé une porte de sortie intéressante, je ne voulais pas quitter le club… Alors, ils m’ont d’abord mis à l’écart. Mais je suis resté sur ma position. Donc ils m’ont ensuite carrément fait m’entraîner tout seul. À ce moment-là, mon avocat a commencé à leur envoyer des courriers… Un, puis deux, et la troisième fois en les avertissant que si je ne retrouvais pas l’équipe première il y allait avoir un litige. Mais la direction n’a pas bougé, ils voulaient me faire craquer psychologiquement…

Ils sont venus dans mon parking pour prendre ma voiture de fonction… Ils envoyaient aussi des journalistes pour me filmer comme une bête de foire.

Bakaye Traoré

Comment ça ?

En me faisant passer pour un mercenaire, ils voulaient salir pour image. Je vais te donner un exemple. À cette période, mon deuxième enfant arrive. Il me donne alors une autorisation pour rentrer en France et assister à l’accouchement de ma femme, puis, une fois que j’y suis, ils appellent un huissier pour constater mon absence à l’entraînement (Silence)… Le truc, c’est qu’ils avaient recruté en anticipant mon départ, mais que je ne suis pas parti et que les investisseurs leur ont mis la pression. Donc ils voulaient me faire craquer. Une fois, ils sont venus dans mon parking pour prendre ma voiture de fonction… Ils envoyaient aussi des journalistes pour me filmer comme une bête de foire. Donc j’ai mis la pression à mon agent et à mon avocat, la situation ne pouvais plus durer. J’étais seul, hormis quand mon cousin est venu me soutenir quelques mois. J’ai tenu une semaine, puis je suis rentré en France et le litige a commencé.

Ça a été long … ?

C’était censé durer quelques mois… D’autant que quand je rentre, plusieurs clubs de Ligue 1 sont intéressés par mon profil (Nantes et Toulouse notamment). Je me dis alors : « Attends juste le mercato d’hiver et c’est reparti ! » Mais ça ne s’est pas passé comme ça… À cause du litige, de Bursaspor qui a envoyé de faux documents à la FIFA, qui a menti, qui m’a fait passer pour un tricheur, en me prêtant de fausses déclarations ou même en envoyant de fausses discussions WhatsApp, aucun club n’a voulu prendre le risque de me recruter.

Ça s’est terminé comment cette histoire ?

Sur le plan contractuel j’ai gagné, mais sur le plan sportif j’ai beaucoup perdu parce qu’ils ont réussi à faire ce qu’ils voulaient, à savoir ralentir voire freiner ma carrière. J’avais fait plein de choses pour me protéger… J’enregistrais tout ce qu’ils me disaient … Si je n’avais pas fait tout ça, on serait peut-être encore en litige aujourd’hui. C’est dommage que ça se soit passé comme ça à cause d’une poignée de gens alors que j’avais beaucoup d’estime pour de nombreuses personnes au club. J’ai eu mon premier fils là-bas et il est tombé gravement malade, mais on m’a soutenu, que cela soit les joueurs ou mon entraîneur de l’époque (Senol Günes, NDLR). Il y a juste deux ou trois personnes fautives et ils ont finalement été perdants parce qu’ils ont fait couler le club. Moi, ça m’a couté presque trois ans. Il m’a fallu du temps pour l’accepter, mais j’ai réussi à relativiser. C’est mon histoire, elle est comme ça. Même si j’aurais aimé jouer jusqu’à 40 ans… J’aime tellement le foot ! C’est pour ça que j’ai pris ma licence cette année à Vitry. Pour le plaisir…

« Y’a ton maillot au Planète Rap ! »

Des amis de Bakaye

Justement, comment t’as rebondi à Vitry ?

C’est via Cédric (Bakambu). On a joué ensemble à Bursaspor et à partir de là une amitié s’est créée. On est toujours resté en contact ensuite. Et cette année, j’avais décidé de reprendre une licence à côté de chez moi, mais Cédric m’a parlé de Vitry, il y avait un projet intéressant, on en a discuté et je me suis dit : « Pourquoi pas ? » Je suis d’abord venu m’entraîner, et je suis tombé sur de supers mecs. Humainement, l’esprit du club est très beau. C’est comme ça que je me suis lancé dans l’aventure... Maintenant, l’objectif c’est de monter.

Le fait que Cédric Bakambu soit devenu le parrain du club, ça change tout ?

Cédric a apporté une grosse plus-value, c’est vrai. On sent que quelque chose se passe. Déjà au niveau des équipements, on a tous la même tenue d’entraînement alors qu’en amateur on sait très bien qu’habituellement il y en a un qui vient avec le short du Real, etc La communication sur les réseaux aussi… Ça amène peu à peu des gens au stade, un autre regard aussi, et les jeunes sont contents de venir voir Vitry jouer. Et puis la dynamique est bonne, on est invaincu en championnat.

Par rapport à la communication, sympa le maillot de Vitry sur Planète Rap avec Rohff…

Oui, Cédric le connait très bien… (Sourire) Des amis qui vivent à côté de chez moi m’ont envoyé des messages en me disant : « Y’a ton maillot au Planète Rap ! » Ça m’a fait rire. Mais c’est bien. Le fait qu’il connaisse des personnalités et qu’il profite de ça pour mettre en avant le club, je trouve ça bien parce que ça permet de donner une autre dimension au club.

Actufoot • Bakambu et Bakaye Traoré à Bursaspor

Cedric Bakambu et Bakaye Traore lors de Bursaspor - Besiktas en 2014.

En mai 2012, sur les ondes d’RMC, tu annonces un transfert surprenant : à 27 ans tu passes de Nancy à l’AC Milan. Tu peux nous raconter l’inside ?

Au lancement de ma dernière saison à Nancy je tombe malade, j’attrape le paludisme en équipe nationale. Donc pendant deux mois et demi je ne joue plus, de septembre à décembre. Puis, quand je reviens, je fais un match amical avec la sélection. La chance que j’ai c’est qu’un grand agent italien, Oscar Damiani, ainsi qu’un superviseur du Genoa sont présents pour observer Seydou Keita. Et moi, ça fait tellement longtemps que je n’ai pas joué, je suis tellement heureux de retrouver le terrain, que je fais soixante superbes minutes. Ce qui fait que quand Oscar (Damiani) rentre en Italie ensuite, il donne mon nom à certains grands clubs italiens en disant : « Jetez un œil sur lui en Coupe d’Afrique »…

Et là tu confirmes…

Je fais six matches sur six et on finit troisième de la compétition (ce qui n’étais plus arrivé à la sélection depuis 40 ans, NDLR). Le tout en réalisant de très bonnes performances. Et comme des recruteurs de grands clubs sont attentifs à Seydou, ils viennent à nos matches et voient ce que je réalise. Après ça, pendant trois mois, à chacun de mes matches l’AC Milan a envoyé un émissaire. Puis, trois jours après un match à Dijon où je mets un doublé, Adriano Galliani m’appelle. Je m’en rappelle comme si c’était hier… Je faisais la sieste et le téléphone sonne ! Mon agent me dit alors : « Tiens, je vais te passer quelqu’un… Tu vas être content » Et Adriano Galliani enchaîne : « Bakaye, comment tu vas ? C’est Galliani au téléphone… » Je suis tombé dans mon siège (Rires) Je me dis que je suis encore en plein rêve, que je n’ai pas fini ma sieste… Je ne savais pas comment lui parler ! Mais il me mettait à l’aise et il m’a glissé : « Bon, on va se voir bientôt. On m’a dit que tu étais un grand fan du Milan, tu veux venir chez nous non ? » Je réponds que oui… Et il termine : « C’était juste pour te dire bonjour et que l’on va se voir bientôt… » Ça a duré 30 secondes, juste comme ça, et c’était bon. Le lendemain, je fais un match de malade contre Bordeaux puis je m’envole pour l’Italie pour signer mon contrat et faire la visite médicale. Pout être discret, on l’a fait à Brescia et pas à Milan. Mais quand je rentre, les journalistes m’appelaient tout le temps, il y avait des bruits de couloir, notamment Luis Fernandez pour l’émission Luis attaque. Et une fois il finit par me dire : « Je sais très bien que tu vas signer au Milan… S’il te plait, je veux l’exclusivité… Quand tu le confirmeras, je veux être le premier à qui tu le dises à la radio… » Après cette annonce mon statut a complétement changé. À chaque match des joueurs adverses me félicitaient, en me souhaitant plein de succès, … Même les arbitres avaient changé. On pouvait à peine me toucher. Et lors de mon dernier match face à Lille, Rudi Garcia, qui était le coach adverse, m’a applaudi quand je suis sorti…

Actufoot • Bakaye Traoré lors de Nancy Bordeaux Icon

Bakaye lors du match contre Bordeaux.

Ton arrivée à Milan, c’est un changement de galaxie je suppose…

Quand tu rentres dans l’intimité d’un club comme ça, tout est impressionnant. L’environnement, la manière dont il est pensé, les chambres individuelles à Milanello, c’était le futur au niveau du professionnalisme. De la dame de ménage à celui qui est tout en haut, chacun fait tout pour que le joueur soit à 1000 % de ses capacités et pour que le Milan reste numéro un. C’est incroyable à vivre. Et puis il y a le reste… On me donne un grand appartement de plus de 300 m2, la dernière voiture Audi, on t’offre des équipements de marques de luxe… Par exemple, il m’avait fait enregistrer mes mesures chez Dolce & Gabbana, ce qui fait que même si je vais dans une boutique à Miami ils rentrent mon nom et ils ont toutes mes mesures. C’est un compte VIP. D’ailleurs, une fois j’étais en train de faire du shopping avec ma famille à Paris, et le vendeur rentre mon nom et voit que je suis dans un compte spécial. Il me dit : « Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » Je lui explique, mais il était choqué (Sourire). Les clubs comme ça, c’est un autre monde. Et sportivement… Moi, Robinho j’avais des vidéos de lui dans mon téléphone… Par rapport aux gestes qu’il faisait… Il y avait (Kevin-Prince) Boateng. (Mario) Balotelli est arrivé après son Euro 2012 de malade. (Massimo) Ambrosini, légende du Milan, qui m’accueille comme si j’étais là depuis des années… Ces mecs-là sont dans un top club mais ils sont aussi simples que s’ils jouaient dans un club amateur. Ils s’intéressaient à moi alors qu’ils ne savaient même pas placer Nancy sur une carte (Rires) !

Et Massimiliano Allegri, il est comment ?

Ce qui m’a marqué chez lui, c’est que dans son discours il disait toujours « Nous sommes l’AC Milan, nous sommes les meilleurs. Moi, Allegri, je suis le meilleur coach du monde. » L’idée c’était de nous mettre en confiance. De nous grandir pour qu’on soit plus grands sur le terrain. Pour ma part, il fallait que je me mette en tête que j’étais l’un des meilleurs milieux de terrain d’Europe pour que personne ne me marche dessus. Pour te donner une image, quand on jouait la Juve, il nous faisait une séance vidéo d’à peine cinq minutes comme si on jouait contre une petite équipe. On devait se mettre en tête quand on était l’AC Milan et donc le numéro un. On impose notre jeu, notre style.

Une dernière petite chose. Tu fais partie d’une génération qui a replacé le Mali parmi les équipes qui comptent en Afrique. Quel héritage laisse votre équipe sur la sélection selon toi ?

Ce qu’on a fait en 2012 (finir troisième de la CAN, NDLR), c’était beau parce que ça faisait 40 ans que le Mali ne l’avait pas fait. Et en plus c’était contre la grande équipe du Ghana (éliminée aux portes des demi-finales de la Coupe du Monde 2010). Le tout sachant que notre équipe n’avait presque pas de stars, hormis Seydou. Ça a permis de montrer que le Mali était capable de faire quelque chose sur le continent et ça a donné de l’espoir aux gens, qui se disaient qu’avec le temps le pays aurait enfin une première participation en Coupe du Monde. Aujourd’hui, presque dix plus tard, quand tu regardes la sélection, je suis persuadé qu’ils sont capables de gagner la prochaine CAN et qu’ils peuvent se qualifier en Coupe du Monde... Même si les choses ont été ralenties à cause des problèmes avec la Fédération, ce qu’on a fait en 2012 ça a lancé quelque chose et ça a ouvert des portes dans l’esprit des gens. Je suis très fier d’avoir fait partie de ça. On m’en parle encore souvent. En Île-de-France, il y a beaucoup de Maliens et quand il y en a un qui me croise à chaque fois on me reparle de ça, on me remercie, il y a un grand respect et c’est touchant.

Propos recueillis par Augustin Delaporte

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